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Nous ignorons si le volume des eaux diminue encore de nos jours dans le bassin de la Caspienne, la plus grande mer intérieure qui reste de l’antique océan d’Hyrcanie : mais il est certain qu’on ne cesse d’observer bien des changemens importans dans la forme de ses rivages, dans les terrains des steppes qu’elle abandonna jadis, dans les allures des fleuves qui s’y déversent. Le livre que vient de publier M. de Baer, ouvrage remarquable à la fois par ses patientes analyses et ses généralisations hardies, nous prouve que la nature est encore en travail, comme dans les premiers âges, pour transformer la Caspienne et les contrées qui l’avoisinent : aucune force géologique ne s’est arrêtée dans son œuvre. Même pendant les quelques années de nos si courtes vies, nous voyons le territoire de la Russie méridionale s’enrichir d’espaces considérables aux dépens de la mer, nous voyons les steppes salines modifier la nature de leur sol, des lacs se résoudre en étangs et en mares, des fleuves incertains osciller dans les plaines comme des serpens déroulant leurs anneaux. Et ces changemens n’arrivent point à la suite de soudaines révolutions, de redoutables cataclysmes ; ils sont amenés par de lents et imperceptibles mouvemens du sol, par les variations périodiques des météores, les immuables lois de la rotation du globe et de la pesanteur ; ils s’accomplissent en se succédant chaque jour d’une manière inappréciable à l’œil nu, mais certaine. Par leur majestueuse lenteur, ils donnent un démenti à ce que nos théories géologiques ont de brutal. Si fiers que nous soyons de notre science moderne, il faut avouer qu’elle diffère assez peu des conceptions grossières de nos ancêtres ; comme eux, nous avons le grand défaut des faibles, celui d’adorer la violence, et l’histoire de la terre n’est pour nous qu’une succession de terribles catastrophes. Autrefois on attribuait la formation de chaque langue de sable, de chaque éboulis de montagne, de chaque défilé, à la verge de Moïse, au marteau de Thor, à la Durandal de Roland ; nous, moins poètes que nos pères, mais non moins matérialistes qu’eux, nous voyons partout les traces de violentes convulsions, de luttes sauvages entre les forces indomptées du chaos. Pour expliquer tous les phénomènes géologiques, nous ne parlons de rien moins que de changemens de l’axe terrestre, de ruptures de la croûte solide, d’effondremens gigantesques ; un grand savant, Halley, va même jusqu’à attribuer la concavité du bassin de la Caspienne au choc d’une comète égarée. Ce n’est point ainsi que la nature procède d’ordinaire ; elle est plus calme, plus régulière dans ses œuvres, et, contenant sa force, opère les changemens les plus grandioses à l’insu des créatures. Elle soulève les montagnes et dessèche les mers sans déranger le vol des moucherons ; telle révolution qui nous semble avoir été produite comme par un coup de foudre a mis