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assemblées provinciales. Bien qu’il ne porte point le nom de l’écrivain, il est de Condorcet, déjà auteur d’une Vie de Turgot. On y trouve malheureusement les principes absolus de l’école philosophique, que ne contente pas encore l’édit de 1787, mais on y reconnaît en même temps l’accent du patriotisme le plus généreux. Condorcet y développe les idées radicales qui avaient cours parmi ses amis, la fusion des ordres, l’égalité civile et politique, l’élection à tous les degrés, la transformation des impôts indirects en impôts directs, la séparation de l’église et de l’état, la vente successive des biens du clergé pour payer la dette publique, questions hâtives que le temps seul pouvait résoudre, et qu’il aurait mieux résolues que l’excès de précipitation. Une des meilleures parties du livre est un travail sur le cadastre. L’assemblée provinciale de la Haute-Guienne, voulant réformer le cadastre, défectueux qui servait à la perception de l’impôt et qui remontait à 1669, avait soumis à l’Académie des Sciences en 1782 un projet de réforme préparé dans la province, et un rapport avait été fait à l’Académie par une commission. C’est ce rapport que Condorcet réimprimait. Les provinces qui n’avaient point encore de cadastre, les plus nombreuses de beaucoup, pouvaient y trouver d’excellentes indications.

Dans son beau livre sur l’ancien Régime et la Révolution, M. de Tocqueville consacre un chapitre aux assemblées provinciales, qu’il juge avec sévérité. Il est certain qu’en désorganisant l’ancienne administration sans avoir eu le temps de lui en substituer une nouvelle, cette tentative a contribué à livrer la société sans défense à la révolution ; mais peut-on bien juger sur ce seul fait une pareille expérience ? La monarchie pouvait-elle prévoir l’immense bouleversement qui allait tourner contre elle ses propres bienfaits, et, même le prévoyant, que pouvait-elle faire pour l’éviter ? Si Necker l’avait emporté dix ans auparavant, l’institution aurait eu plus de temps pour s’asseoir ; elle aurait eu moins à lutter dès son début contre cette fermentation universelle que rien ne pouvait plus satisfaire. Le livre entier de M. de Tocqueville est dirigé contre le despotisme centralisateur de l’ancienne monarchie ; comment se fait-il que l’effort si noble et si sincère de Louis XVI pour y mettre fin ne trouve pas grâce devant lui ? Personne n’a fait une peinture plus cruelle et plus juste de l’administration des intendans, et quand la monarchie elle-même les abandonne, il se met tout à coup à les défendre, du moins en apparence. Il blâme surtout dans l’édit de 1787 son caractère unitaire. « Une législation, dit-il, si contraire à tout ce qui l’avait précédée, et qui changeait si complètement, non-seulement l’ordre des affaires, mais la position relative des hommes, dut être appliquée partout à la fois, et partout à peu près de la même manière, sans aucun égard aux usages antérieurs ni à la situation particulière