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la nappe d’eau qui restera au centre du bassin ne sera plus qu’un marécage. Peut-être même disparaîtra-t-elle en entier comme cette mer qui se trouvait entre le lac Elton et le fleuve Oural, et dont l’ancienne existence est révélée seulement par une dépression de 21 mètres au-dessous du niveau de la Caspienne, de 46 mètres au-dessous de la Mer-Noire.

Ce n’est pas uniquement dans les golfes à étroites embouchures que la Caspienne se crée des réservoirs salins. La baie de Mertvoï-Kultuk, qui occupe en entier l’extrémité orientale du bassin septentrional, est aussi une grande nappe d’évaporation où le sel s’accumule sans cesse. Cette vaste baie, que des promontoires sablonneux et des bas-fonds séparent en partie de la mer, ne reçoit pas un seul affluent digne de ce nom, et l’évaporation complète de ses eaux, déjà bien plus basses que celles de la Caspienne, ne peut être prévenue que par l’afflux continuel d’un courant parti de la haute mer. Tout en apportant son tribut de flots salés, ce courant, aidé par les brises de terre qui entraînent en tourbillons le sable des steppes et le déposent au milieu de la baie, élève constamment la digue des bas-fonds et travaille à l’isolement du Mertvoï-Kultuk, à sa transformation en un immense marais salant. Bien avant toutefois que cette baie soit séparée du reste de la Caspienne, un bras qu’elle projette au loin dans l’intérieur des terres sera changé en un lac de sel. Ce bras de mer, auquel les cartes donnent le nom de Karasu (eau noire), mais qui porte en réalité celui de Kaïdak, remplit une longue et profonde fissure, dominée par des rochers abrupts et semblable à un fiord norvégien. Au XVIe siècle, lorsque les tribus des steppes n’étaient pas encore privées de toute initiative par le despotisme russe, c’était sur les bords du Karasu que se trouvait le grand marché où s’opéraient les échanges entre Khiva et la Moscovie. Alors la barre qui sépare ce fiord du Mertvoï-Kultuk était facile à franchir ; elle est aujourd’hui presque inaccessible aux embarcations du plus faible tirant d’eau, et le gouvernement russe a été obligé en 1843 d’abandonner la forteresse, d’ailleurs parfaitement inutile, de Novo-Alexandrovsk, qu’il avait construite en 1826 sur le rivage oriental du Karasu. La salure de Mertvoï-Kultuk est déjà deux fois plus forte que celle du bassin central de la Caspienne ; celle du Karasu est presque quadruple et dépasse même celle du golfe de Suez, la plus salée de toutes les mers qui communiquent avec l’Océan. La proportion du sel marin s’élève dans le Karasu à près de 4 centièmes, et tous les sels réunis forment environ les 57 millièmes de l’eau ; c’est dire que la vie animale doit y être presque complètement ou tout à fait supprimée.

Ainsi la Mer-Caspienne travaille sans cesse à diminuer de surface en détachant de son sein les baies et les golfes qui découpent