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ses rivages. Comme un arbre qui laisse tomber ses fruits sur le sol, elle éparpille dans le steppe des lacs et des étangs. Bien plus, non contente de créer sur ses côtes, et aux dépens de sa propre étendue, des réservoirs d’eau salée, elle transforme en réservoirs de même espèce jusqu’aux îles qu’elle entoure de ses eaux. L’île de Kulali, située entre le bassin septentrional et le bassin central de la Caspienne, non loin du cap Tchuk-Karaghan, est un exemple remarquable de ce travail de la mer. Étalée sur les eaux en forme de cimeterre, elle se compose de deux levées de sable parallèles renfermant une série de lagunes où l’eau marine se sature et s’évapore. Pendant les tempêtes, les vagues bondissent par-dessus les cordons littoraux, apportant de nouvelles quantités de sel à concentrer ; puis la chaleur vaporise l’humidité des lagunes, et il ne reste bientôt plus que des couches de cristaux.


II.

Il serait facile d’expliquer l’assèchement graduel des côtes basses et la formation des lagunes salées sur les bords de la Caspienne, si l’on admettait une diminution constante des eaux dans cette mer intérieure. Plusieurs géographes, qui se sont faits les défenseurs de cette hypothèse, citent à l’appui de leurs argumens les îles et les péninsules émergées dans les parages de Bakou ; mais jusqu’à nouvel ordre ces émersions peuvent être attribuées aux forces purement locales qui font onduler et ployer l’écorce de la terre dans cette partie des régions caucasiques. Les oscillations diverses constatées sur le bord de la mer, près de Bakou, ne témoignent pas en faveur d’une dénivellation de la Caspienne plus que les immersions et les émersions fréquentes du temple de Sérapis à Pœstum ne prouvent un changement de niveau dans la Méditerranée. Il n’est pas un récit de voyage qui ne parle de l’activité extraordinaire des forces volcaniques à l’œuvre sous le sol de Bakou, et récemment encore on vu dans ces parages surgir brusquement un îlot. Les touristes, aussi bien que les géographes, parlent des abondantes sources de naphte, de ce temple du Feu où les Guèbres entretiennent une flamme éternelle, de ces incendies de gaz qu’allume une étincelle, de ces manteaux de lumière qui, pendant les nuits orageuses, étendent leurs replis phosphorescens sur les lianes des montagnes. Au milieu même de la mer sourdent des ruisseaux de naphte en faisant bouillonner les flots et en répandant au loin sur la surface des vagues une légère pellicule irisée. Il suffit de jeter sur la source une étoupe enflammée pour que le gaz s’allume et qu’un vaste incendie propage ses flots de lumière sur la nappe des eaux. Quelles richesses enfouies dans cette terre qui en laisse échapper le trop-plein avec une telle