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trouvé conduit à préférer le despotisme royal à la dépendance légale où le plaçait cette division. La composition même des chambres différait dans les deux pays. En France, l’assemblée du clergé et celle de la noblesse étaient électives comme celle du tiers-état, ce qui formait un corps de tous les membres d’un même ordre, également intéressés à défendre leurs privilèges. En Angleterre, la chambre des lords ne se composait et ne se compose encore que de la haute noblesse et du haut clergé, ce qui avait obligé la noblesse et le clergé de second rang, les plus nombreux de beaucoup, à faire cause commune avec le tiers. Il n’y avait pas en France, dit encore Mme de Staël, plus de deux cents familles vraiment historiques. La nation se serait soumise peut-être à la prééminence de ces familles illustres dont les noms rappelaient les plus grands souvenirs ; mais ce qui révoltait à bon droit, c’était cette multitude de gentilshommes obscurs, la plupart anoblis par l’achat de charges inutiles et souvent ridicules, et réclamant avec arrogance des immunités que rien ne justifiait.

Outre le ministre, l’idée des deux chambres avait en 1789 un fort parti dans les membres les plus influens des trois ordres. M. de La Luzerne, évêque de Langres, un des chefs les plus respectés du clergé, écrivit pour la défendre une brochure qui fit beaucoup de bruit. Dans la noblesse, MM. de La Rochefoucauld, de Lally-Tollendal, de Clermont-Tonnerre, de Montmorency, de Noailles, dans le tiers-état, MM. Mounier, Malouet, tous ceux dont l’influence était alors prépondérante, appuyaient cette combinaison. Ce furent les deux partis extrêmes, la cour d’une part et l’entraînement révolutionnaire de l’autre, qui la firent échouer. La première attaque vint de la cour. Necker a raconté lui-même ce qui se passa pour la fameuse séance royale du 23 juin. Dans le discours préparé par le ministre et approuvé par le conseil, le roi devait se prononcer pour le principe des deux chambres ; un autre discours tout différent, qui maintenait au contraire les trois ordres et menaçait le tiers-état, y fut brusquement substitué par l’influence de la reine. On sait quelle en fut la conséquence. Necker mécontent refusa d’assister à la séance, ce qui amena sa destitution et son exil. En même temps le tiers, poussé par Mirabeau, se constituait en assemblée unique et souveraine, et bientôt éclatait à Paris l’insurrection du 14 juillet. Même après cette violente rupture, la majorité de l’assemblée nationale manifesta encore sa préférence pour les deux chambres en appelant successivement à la présidence, pendant les mois d’août et de septembre, les partisans les plus connus de ce système, MM. de Clermont-Tonnerre, de La Luzerne et Mounier. Ce ne fut qu’après les fatales journées des 5 et 6 octobre que la physionomie de l’assemblée changea complètement.