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phiques et les a remises en honneur[1]. » En même temps que paraissait à Marbourg l’édition du Sic et Non donnée par MM. Henke et Lindenkohl, un écrivain italien, M. Luigi Tosti, publiait à Naples une curieuse étude historique sur Abélard et son époque : Storia di Abelardo e dei suoi tempi. Un tel ensemble de recherches commencées il y a vingt-cinq ans mérite assurément qu’on le résume et qu’on cherche à en dégager les principaux résultats.

C’est en 1836 que M. Cousin fut chargé de publier dans la grande collection des Documens inédits sur l’histoire de France plusieurs manuscrits d’Abélard, parmi lesquels le plus important est celui qui porte le titre de Sic et Non. Jusque-là l’éloquent professeur de la Sorbonne ne paraissait pas attacher beaucoup d’importance au rôle et aux écrits de l’adversaire de saint Bernard ; dans ses brillantes leçons de 1829 sur l’histoire générale de la philosophie, il en parle assez dédaigneusement. « Le grand mérite d’Abélard, dit-il, est d’avoir été beaucoup plus instruit qu’on ne l’était de son temps, et d’avoir joint l’étude de Cicéron à celle de saint Augustin. Dans ce siècle de grossièreté et de pédanterie, Abélard est une sorte de bel-esprit classique ;… mais il n’est pas seulement remarquable par le goût, il l’est aussi par la dialectique et par les progrès qu’il fit faire à la forme philosophique. » Ainsi un bel-esprit, un homme plus lettré que ses grossiers contemporains, en même temps un dialecticien entre les mains duquel se développa la forme philosophique, voilà tout Abélard. Il est vrai que ce n’est pas là un médiocre éloge, si l’on songe aux obstacles qui arrêtaient sans cesse le dialecticien du XIIe siècle, aux efforts qu’il dut faire, à l’audace d’esprit qu’il fut obligé de déployer pour assurer ce premier développement de la pensée libre. Qu’il y a loin pourtant de ces paroles aux pages éloquentes où l’éditeur du Sic et Non proclame l’importance de la philosophie scolastique et apprécie le rôle si considérable d Abélard dans les batailles intellectuelles de cette époque ! Sept ans plus tard, M. Cousin associait tous les événemens du moyen âge à la fortune d’une simple question métaphysique ; le problème, en apparence si fastidieux, des genres et des espèces devenait chez l’historien des idées l’explication des plus grands faits, des plus profondes révolutions de l’histoire. « C’est ici, s’écrie-t-il, qu’il faut se donner le spectacle de la puissance des principes. Un problème, digne à peine, ce semble, d’occuper les rêveries des philosophes, donne naissance à divers systèmes de métaphysique. Ces systèmes troublent les écoles :

  1. Vir celeberrimus Victor Cousin, ipsius Petri in cathedra philosophica successor et languescentis in Gallia philosophici studii hoc tempore stator et vindex. Voyez l’ouvrage intitulé Petri Abœlardi Sic et Non primum integrum ediderunt Ernestus Ludov, Theod. Henke et Georgius Steph. Lindenkohl ; un vol. in-8o, Marbourg 1851.