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naître les œuvres d’Abélard. De l’édition de Duchesne ou d’Amboise il fallait passer aux in-folio des bénédictins, et ce que n’avaient pas donné les imprimeries parisiennes, on était obligé de le demander à Augsbourg ou à Berlin. M. Cousin, au moment même où il publiait les œuvres inédites du vieux maître, comprit bien qu’il n’importait pas moins de rassembler ses écrits déjà imprimés, il est vrai, mais plutôt enfouis que mis au jour dans les collections bénédictines. « J’appelle de tous mes vœux, je seconderais de tous les moyens qui sont en moi une édition complète des œuvres de Pierre Abélard. Si j’étais plus jeune, je n’hésiterais point à l’entreprendre, et je signale ce travail à la fois patriotique et philosophique à quelqu’un de ces jeunes professeurs, pleins de zèle et de talent, auxquels j’ai ouvert la carrière et que j’y suis avec tant d’intérêt. »

Si j’étais plus jeune ! M. Cousin écrivait cela en 1836, et treize ans plus tard, commençant à réaliser son vœu, il donnait au monde savant, avec le concours de MM. Charles Jourdain et Eugène Despois, le premier volume des œuvres complètes de Pierre Abélard. Malheureusement la révolution de 1848 venait d’éclater au moment où s’achevait l’impression de ce volume in-quarto, entreprise en des temps plus calmes, destinée à des loisirs plus studieux; les secours sur lesquels M. Cousin pouvait compter, dans une société paisible et de la part d’un gouvernement ami des lettres, se trouvaient ajournés pour longtemps. Quand la société même était mise en question, il y avait autre chose à faire pour les particuliers et pour l’état que de s’intéresser à l’érection d’un monument philosophique. M. Cousin ne se découragea point : seul ou presque seul, il se chargea de cette œuvre nationale, et il a eu l’insigne honneur de l’accomplir. Le second volume a paru en 1859; ajoutez-y les Œuvres inédites publiées en 1836, et vous avez en trois volumes in-quarto tout ce qui existe aujourd’hui des écrits d’Abélard.

Le premier volume s’ouvre par les lettres d’Abélard, et la première de toutes est celle qu’il écrit du monastère de Saint-Gildas à un ami inconnu pour se consoler et se fortifier lui-même par le récit de ses malheurs. On peut voir dès le début avec quel soin scrupuleux M. Cousin s’est acquitté de sa tâche. Le texte donné par Amboise et Duchesne en 1616, celui que l’Anglais Rawlinson a publié en 1718, et que le savant Orelli a si violemment condamné comme l’œuvre d’un faussaire, enfin le texte d’Orelli lui-même, ont été confrontés, examinés, discutés par l’éditeur, comme s’il s’agissait d’un des maîtres de la littérature ancienne. Bien des écrivains, depuis dom Gervaise, ont traduit les lettres d’Abélard et d’Héloïse. M. Cousin cite les traductions de Bastien, de Longchamps, de Turlot, de M. Oddoul; on peut ajouter à cette liste l’élégante étude de M. Paul Tiby : Deux couvens au moyen âge, ou l’abbaye de