Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/646

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gnance s’explique jusqu’à un certain point. Les phénomènes vitaux sont loin d’offrir l’invariabilité qu’on rencontre dans les réactions de la physique et de la chimie. On ne peut répéter deux fois la même expérience sur un animal sans trouver quelques dissemblances dans les résultats, et cela tient à ce que les organes des animaux sont des appareils compliqués et variables, dans lesquels nous ne pouvons modifier les conditions de l’expérience à notre gré et sans exercer une influence sur les appareils eux-mêmes.

Il en résulte que les actes les plus simples de la vie, comme la vision et l’ouïe, dans lesquels on ne peut contester l’intervention presque exclusive des forces physiques, perdent un peu de leur simplicité géométrique, parce que ces forces agissent à travers un organisme qui est variable. La complication devient plus grande quand on considère des fonctions plus multiples comme la digestion, les sécrétions et la nutrition, ou les actes innombrables de la végétation, ou enfin et surtout le jeu des organes reproducteurs et du système nerveux. Mais de ce que l’expérimentation donne ici des résultats moins simples, parce qu’ils sont soumis à des causes perturbatrices plus difficiles à éliminer, s’ensuit-il qu’il faille l’abandonner ? Quelle autre méthode d’investigation faudrait-il suivre alors ? L’empirisme seul resterait, et nous serions condamnés à une ignorance fatale. On ne comprend pas que des esprits sérieux aient pu s’arrêter un instant à un système d’exclusion aussi téméraire et qui nous réduirait à l’impuissance.

Une autre question se présente encore à l’esprit. Il est certain par exemple que les parties vertes des plantes ont la propriété de décomposer l’acide carbonique, dont elles fixent le carbone et dont elles mettent l’oxygène en liberté, et d’autre part on n’a point réussi à reproduire cette action dans les vases de la chimie. Il est certain également que les appareils de la nutrition et de la digestion déterminent la formation de composés que la chimie est le plus souvent impuissante à reproduire par des procédés identiques. Devant cette impuissance actuelle, l’école des forces vitales a cru pouvoir ériger en principe cette hypothèse étrange, que les mêmes élémens obéissent à des lois et à des forces différentes quand ils réagissent dans un être vivant ou dans des appareils inorganisés. Cette supposition toute gratuite n’a pas une plus grande vraisemblance que celle qu’on ferait en astronomie, si on admettait que la lune et la terre s’attirent suivant une autre loi que les étoiles doubles, et il faudrait renoncer à tous les principes scientifiques pour croire que les atomes des corps peuvent avoir des propriétés distinctes dans les êtres vivans et dans les corps inorganisés. C’est contre cette tendance à l’empirisme, contre cette hypothèse du renversement des propriétés