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La suite logique de ces idées a dû conduire et a conduit en effet M. Pasteur à se demander comment ces fermens se développent tout d’abord. En voyant les putréfactions des liquides organiques se produire d’elles-mêmes au bout de quelque temps, beaucoup de physiologistes avaient admis que les êtres inférieurs peuvent naître spontanément ; d’autres pensaient qu’ils sont toujours précédés d’ascendans et que la vie leur est transmise comme chez les animaux et les végétaux supérieurs par d’autres êtres semblables à eux. Bien que de nombreuses expériences eussent été faites sur ce point, la question des générations spontanées restait indécise. M. Pasteur prit des liquides sur lesquels des moisissures se développent habituellement, et les ayant enfermés bouillans dans des vases de verre à l’abri du contact de l’air, il reconnut que jamais les végétaux ne s’y produisent ; mais quand il venait à déboucher l’un de ces vases et à y laisser pénétrer l’air atmosphérique, il voyait naître les moisissures après un délai très court. Ainsi l’air est nécessaire à leur développement.

En variant l’expérience et en s’astreignant à introduire dans le vase de l’air primitivement chauffé jusqu’au rouge, on vit les liquides rester indéfiniment au même état de pureté que dans le vide. Cela prouvait que les moisissures ne provenaient pas de l’air lui-même, mais des matières étrangères qui s’y trouvent habituellement contenues. Alors M. Pasteur fit passer pendant longtemps ce gaz à travers des tubes remplis de coton-poudre qui retint ces matières, et il put ensuite les étudier d’une part et en examiner les propriétés de l’autre. Pour les étudier, il fit dissoudre le coton-poudre, et le liquide, examiné au microscope, montra des myriades de germes de formes et de grosseurs diverses. Enfin il introduisit une très petite portion de ce coton dans les liqueurs fermentescibles, et il vit quelques jours après naître les végétations dont il avait semé les germes.

En résumant tout ce qui précède, on reconnaît ainsi que l’air contient et charrie les semences microscopiques d’une infinité d’êtres, semences le plus souvent inutiles et perdues ; mais viennent-elles à rencontrer une substance propre à leur fournir les alimens qui leur conviennent, aussitôt elles germent, se développent et multiplient, et, par l’acte même de leur vie, elles transforment les matières au milieu desquelles elles existent, comme les animaux et les végétaux supérieurs transforment l’air ou l’acide carbonique. Je le demande maintenant, où en seraient nos connaissances sur ces matières délicates, si l’on s’était contenté de décrire des organes, et si l’on avait abandonné systématiquement cette précieuse et unique ressource de l’expérimentation ?