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adressait, il y a six ans[1], Gustave Planche, ces pages éloquentes qu’il terminait en lui déclarant que la tâche du poète n’est pas seulement de convaincre, mais d’émouvoir. Nous engagerons surtout M. de Laprade à méditer le dulcia sunto, le non satis est pulchra esse poemata, préceptes d’un poète qu’il méprise peut-être un peu, mais qui avait du bon, et qui, sur ce point délicat du charme poétique, nous offre un modèle et un exemple. Le Carmen seculare d’Horace, que dis-je? les plus vantées de ses odes héroïques ont moins fait pour sa gloire et pour nos plaisirs que la moindre de ces perles cueillies sur le front de Glycère ou sur les lèvres de Lydie et enchâssées dans l’or pur par un artiste incomparable. Il n’est pas besoin d’ingénieux symboles, d’œuvres laborieuses, de poèmes grandioses, pour fixer à jamais un nom dans toutes les mémoires et un chant dans toutes les âmes. Trente vers y suffisent, une fable de La Fontaine, un lambeau d’André Chénier, deux ou trois strophes d’Alfred de Musset, une larme, un sourire, un souffle qui glisse, une mélodie qui passe, un oiseau qui chante! C’est cette pièce de trente vers que l’on n’oublie plus et que tout le monde répète, c’est celle-là que nous voudrions trouver dans le bagage, riche déjà, de M. Victor de Laprade. N’importe, si l’on ne peut encore lui décerner une de ces royautés poétiques dont les sceptres semblent perdus avec d’autres reliques du passé, nul n’est plus digne de remplir et d’ennoblir l’interrègne.

M. Joseph Autran, auteur des Epitres rustiques, appartient, lui aussi, à cette famille de poètes qui font des sentimens humains, dans l’acception la plus naturelle et la plus vraie, l’élément essentiel de leur poésie. Seulement il ne poursuit pas son idéal parmi les grands chênes et les hauts sommets : il reste volontiers à mi-côte, il se complaît dans les épisodes de la vie champêtre ou domestique et dans les scènes familières. Cette préférence se révélait déjà dans Laboureurs et Soldats, dans la Vie rurale, dans les Poèmes de la mer, où l’homme apparaissait toujours au premier plan, mêlant ses douleurs, ses tendresses, ses rêves, aux aspects du paysage ou aux travaux de la campagne. Les Epitres rustiques, en continuant cette veine heureuse, marquent une tentative dans un genre dont notre littérature offre peu de modèles, qui tient à la fois de l’idylle, de l’épître et du discours en vers, mais avec l’intention évidente de familiariser ces genres, de les fondre dans une même nuance de simplicité et de vérité. L’auteur choisit un thème dans la vie ordinaire, un voyage à travers champs, la chute d’un arbre, le portrait d’une jeune fille, le retour au pays natal; il s’adresse à un ami, à un absent, et,

  1. Dans la Revue du 15 janvier 1856.