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un ciel humide; il se sent d’autant plus porté vers les images de l’infini, vers la blancheur des neiges se découpant sur l’azur, vers les clartés immortelles, que ses yeux comme son âme ont besoin d’aller les chercher au-delà des brouillards et des nuages. Prenant pour point de départ l’une de ces fables, éternellement jeunes et belles, de l’antiquité grecque, M. de Laprade y découvrit de mystérieux rapports avec la beauté et la vérité suprêmes. Quoi de plus attrayant que l’histoire de Psyché, de cette gracieuse personnification de l’âme humaine mise en contact avec un dieu, satisfaite d’abord de son bonheur plein de mystère, puis aspirant à compléter ce bonheur par la science, punie de sa curiosité, passant par une série d’expiations et de métamorphoses, jusqu’au moment où, ayant parcouru les phases de l’épreuve et de l’exil, elle rentre en possession de ce dieu, désormais reconquis? M. Victor de Laprade, en écrivant plus tard les Poèmes évangéliques, s’est attaché surtout à exprimer, avec une simplicité souvent pathétique, la part de l’humanité contemporaine de la venue du Christ dans ce drame qui commence à Bethléem et finit au Calvaire. Les douleurs de l’humanité, assumées, purifiées et rachetées par les souffrances du Sauveur, telle est la principale inspiration de ces poèmes, où le talent généralisateur de M. de Laprade a rappelé et célébré l’union de la grande famille chrétienne avec le Dieu de l’Évangile. C’est par là que s’attendrit et s’humanise cette poésie à laquelle on avait reproché trop de tendance à l’isolement, trop peu de souci de nos amours, de nos tristesses, de nos songes et de nos joies. Les Symphonies et les Idylles héroïques expriment, parfois avec magnificence, parfois avec un peu d’uniformité et de raideur, la lutte inégale des forces de la société contre celles de la nature dans une âme hautaine, ulcérée, avide d’orages ou altérée d’infini. Seulement là encore la famille remporte cette victoire que la société n’obtiendrait pas. Les tendresses de l’amant, de l’époux et du père, les joyeux ébats de l’enfant, l’aspect animé du champ qui fait vivre le nid, le doux concert des félicités domestiques, ramènent le fugitif, l’exilé volontaire, et corrigent ce que les alpes et les chênes auraient de trop rude pour notre faiblesse : la Muse peut-elle paraître froide quand elle sait sourire comme une fiancée ou pleurer comme une mère?

On le voit, il y a de l’unité et de la grandeur dans cet ensemble. Il est permis pourtant de discuter le degré d’attraction qu’une semblable poésie peut exercer sur la société et le public ; il est permis de se demander si la popularité qu’il est si honorable de dédaigner n’est cependant pas nécessaire pour compléter et fixer le rôle du poète en ce monde. Au moment où M. de Laprade publie une nouvelle édition de ses œuvres, on peut lui rappeler les conseils que lui