Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/710

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presque pour lui que sous sa physionomie bretonne, et c’est cette physionomie qu’il exprime avec un délicieux mélange de simplicité et d’élégance. La Provence, ou, si l’on veut, le midi de la France, malgré de louables efforts pour lui rendre après coup une originalité, est loin d’avoir ces traits si fortement tranchés, ces caractères sui generis, ces mœurs et ces costumes à part que Brizeux a saisis avec amour et peints en maître au moment où tout cela s’affaiblissait déjà et allait peut-être disparaître dans le nivellement universel. Ce n’est donc pas, sauf quelques détails de labourage et de culture, une province plutôt qu’une autre, ce n’est pas une campagne, c’est la campagne dont s’inspire M. Joseph Autran. Au point de vue de l’artiste, ce sont là des désavantages. Sous un autre aspect que l’on pourrait appeler philosophique, nous n’avons pas besoin de démontrer tout ce qu’il y a de salubre et d’excellent à faire de la campagne non plus une charmeresse dont les philtres enivrans exaltent les facultés oisives de l’homme et énervent ses facultés actives, non plus une machine splendide dont les rouages broient tout à la fois le créateur et les ouvriers, mais une amie douce et fidèle, associée aux meilleurs sentimens de l’âme, aux plus pures émotions de la vie.

Peut-être pourrait-on chicaner M. Autran sur sa haine contre Paris, sur ce furieux amour pour la campagne, sur cet éternel contraste entre les perversités parisiennes et les perfections champêtres; peut-être serait-il permis de lui faire remarquer que l’homme au fond est partout le même, que ses passions et ses intérêts, en se développant dans un plus petit cadre, ne le rendent ni meilleur, ni plus pur, et que trop s’obstiner à vanter l’homme des champs, le charme des mœurs rustiques, les délices de la vie de campagne, c’est exposer les gens d’esprit au même genre de périls et de mécomptes où risquent de tomber les âmes romanesques et les imaginations sentimentales auxquelles on a trop magnifiquement parlé des poésies du mariage. Nous aimons mieux adresser à l’auteur des Epitres rustiques un blâme plus littéraire. Cette difficulté qui consiste à établir en des sujets si simples une proportion exacte entre le fond et la forme, M. Autran en a triomphé souvent, mais pas toujours. Nous ne voulons parler, bien entendu, ni des sentimens qu’il exprime avec bonheur, ni des beautés descriptives qu’il reflète avec charme, mais des détails familiers qu’il avait à sauver par l’infaillible propriété du style, par une constante élégance artistement cachée sous une exquise simplicité. Or l’on a eu beau réformer, assouplir, déshabiller, ramener au naturel et au vrai notre terrible versification française : le pli est pris, et ne s’efface jamais complètement. Elle a ses pruderies, ses routines, ses incompatibilités d’humeur, dont il