Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/758

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Picco tout l’intérêt qu’il ou qu’elle mérite. Ce rôle ambigu et assez difficile, qui demanderait une Déjazet passionnée, a été rempli avec talent par une jeune actrice qui s’est révélée comédienne, il y a un peu plus de deux ans, dans une pièce de M. Barrière, Cendrillon, et qui tient les promesses qu’elle avait données. Cependant les qualités de la nature dépassent encore chez elle les qualités de l’art : elle a de la vivacité, de la passion, des jets d’une sensibilité à la fois ardente et sèche d’un genre très original; mais sa diction, tantôt lente, tantôt précipitée, toujours inégale et saccadée, laisse à désirer. Vraiment remarquable quand il s’agit de jouer, elle faiblit quand il ne faut que réciter.

Quelque temps avant la pièce de M. Sardou, le Gymnase avait représenté une comédie de M. Henri Meilhac, la Vertu de Célimène. M. Meilhac est en tout l’opposé de M. Sardou; autant ce dernier est vif et turbulent, autant le premier est mesuré, paisible et lent. M. Meilhac a trop peu de cette turbulence et de cette étourderie dont M. Sardou a trop. Je ne sais si M. Meilhac a le travail difficile, mais on le dirait presque : ce qu’il écrit sent l’huile et la peine. On devine un esprit soigneux, appliqué et laborieux; mais nous aurions presque envie de lui dire quelquefois : prenez garde de vouloir trop bien faire, calculez moins, pesez moins vos paroles, et divaguez davantage. Vos comédies ont trop de tenue, et cela les rend froides; encore un peu, et elles vont être compassées. Votre esprit est ingénieux et fin, voilà sa grande qualité; prenez garde de l’exagérer et de faire dégénérer cette finesse en subtilité. Votre dernière comédie vous est un avertissement; les fils de l’action sont si ténus qu’on les aperçoit à peine, et qu’ils cassent à chaque instant; vous les nouez, et ils se brisent; vous les renouez, ils se brisent encore, et cette opération recommence à chaque scène de votre comédie. Quant à l’idée, elle est presque insaisissable; on se croirait en l’écoutant condamné à chercher une aiguille microscopique dans une botte de foin que l’on serait obligé de démolir brin à brin. Défiez-vous des longues œuvres, des œuvres qui exigent plus de force que d’ingéniosité, plus d’étendue d’esprit que de subtilité ; vous regardez de trop près pour saisir les vastes ensembles, vous vous plaisez trop aux subtilités pour vous attaquer à ces robustes et éternels lieux-communs qui sont la substance même des grandes œuvres. Votre talent n’aime et ne comprend bien que les nuances; revenez donc à cet art du pastel qui seul sait les rendre. C’est là peut-être votre art véritable, j’en atteste l’Autographe et la Sarabande, j’en atteste même, malgré son étendue, le Petit-fils de Mascarille, qui n’est après tout qu’un pastel dans un cadre assez vaste.

Quelles sont encore les nouvelles du théâtre? Un Mariage de Paris, comédie amusante et légère de M. Edmond About et de M. de Najac, déjà connu par quelques jolis vaudevilles représentés dans ces deux dernières années avec succès. Pour peu que vous soyez au courant de la littérature romanesque contemporaine, vous connaissez certainement le sujet de cette pièce. Il est tiré d’une des nouvelles qui composent ce recueil intitulé les Mariages de Paris, lequel a eu tant de lecteurs et a compté toutes les éditions que méritait et que n’a pas obtenues le Roi des Montagnes. C’est l’histoire de cette jeune fille qui croit aimer un prince et qui finit par épouser un