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sculpteur, à son parfait contentement d’ailleurs et à la satisfaction générale de l’assistance. La pièce est gaie, semée de mots heureux, dont quelques-uns vraiment comiques; cependant, si la pièce s’élève souvent au-dessus du vaudeville, elle approche rarement de la comédie. Si nous la jugions comme une comédie, nous aurions peut-être le droit d’être sévère, mais nous croyons qu’elle veut être prise comme un vaudeville, et par conséquent nous ne lui demanderons que les qualités qu’on demande en général au vaudeville. Or ces qualités, la pièce de MM. About et de Najac les possède; elle en possède même de plus sérieuses. Les défauts pourtant n’y manquent pas, et on les verrait beaucoup mieux qu’on ne les voit si la pièce n’était jouée par les acteurs du Vaudeville avec un ensemble qu’on ne rencontre que rarement à ce théâtre. Si Mme Lambquin ne jouait pas avec autant d’entrain le personnage de Mme Michaud, on verrait aisément tout ce que ce rôle a d’artificiel et d’exagéré. Est-ce bien un caractère que celui de Mme Michaud? N’est-ce pas plutôt un composé de coq-à-l’âne et d’incongruités? Je sais que la société présente les rudimens de ce caractère; je ne nie pas qu’on ne rencontre des personnes qui n’ont qu’à ouvrir la bouche pour laisser couler, comme de source, les inepties et les sottises: cependant je doute qu’on puisse rencontrer l’original de Mme Michaud. Les sottises et les ignorances des femmes de cette espèce que nous rencontrons dans le monde ne forment pas la trame de leur caractère et de leurs discours, elles n’en sont que les broderies et les agrémens : les broderies sont ainsi d’accord avec le fond de l’étoffe, et tout est pour le mieux; mais les sottises chez Mme Michaud sont l’étoffe elle-même. Les auteurs ont conçu leur personnage d’une certaine façon et l’ont représenté d’une autre. La Mme Michaud de leur comédie est juste l’opposé du personnage qu’ils avaient voulu montrer. Ils nous la présentent comme une bourgeoise grossière, mais sensée, comme une Mme Jourdain moderne. Je ne vois en elle rien de pareil. Cette bonne femme est une bête accomplie, cette femme sensée est digne d’aller habiter Charenton. On n’est pas bête ainsi tout d’une pièce et à toute heure du jour. Si Mme Michaud n’était inconvenante qu’à ses heures, le personnage serait vrai; comme elle l’est toujours et pour ainsi dire sans aucune solution de continuité, le personnage est faux.

J’aimerais à glisser sur deux autres défauts de cette comédie; je les signale cependant, parce qu’ils ne sont pas spécialement propres à la pièce, qu’ils tiennent de près à l’esprit même de M. About, et qu’ils sont pour beaucoup dans les critiques qui lui ont été adressées et dans les inimitiés qu’il s’attire de temps à autre. Cette pièce n’est pas avenante, et elle est injuste. M. About, en règle générale, n’a pas assez peur de déplaire à son lecteur, et son esprit, si vif pourtant, choque souvent au lieu de charmer. M. About aime à se placer sous l’invocation de Voltaire et à s’entendre dire qu’il a reçu un legs dans l’héritage du grand écrivain. Qu’il relise son auteur favori avec attention, et il verra qu’un des secrets de la force de Voltaire, c’est qu’au milieu de ses violences, de ses boutades, de ses cruautés, il resta toujours avenant et évita toujours de déplaire. Voltaire blesse et irrite souvent, il ne choque jamais. On peut braver la colère et la fureur, mais il est une certaine mauvaise humeur qu’il faut bien se garder d’éveiller,