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suspendu jusqu’au jour où la liberté du travail humain aura triomphé. Si donc l’on prouve que l’émancipation a été bienfaisante pour les pays qui l’ont prononcée, que l’esclavage est funeste aux pays qui le conservent, on fait le meilleur et le plus sûr plaidoyer qui puisse convertir les intérêts aveuglément rebelles jusqu’ici aux inspirations de la loi morale, on détruit le seul argument par lequel on erse encore soutenir l’esclavage, on montre que l’asservissement du travail, loin d’être indispensable dans certains pays, est partout une cause de décadence et de ruine, et l’émancipation est dès lors proclamée immédiatement dans toutes les convictions.

Était-il nécessaire de démontrer, comme l’a fait M. Cochin dans la dernière partie de son livre, que le christianisme ne saurait être responsable d’avoir en aucun temps pratiqué et consacré l’esclavage? L’auteur a désiré répondre aux assertion de certains publicistes qui, torturant les textes des livres sacrés comme les témoignages de l’histoire, ont essayé de justifier par l’autorité de la loi chrétienne l’asservissement du travail, et de plaider la légitimité, la sainteté de ce qu’ils osent appeler une institution. Cette réponse, à nos yeux, était bien superflue. « Avant toute démonstration, dit M. Cochin, on comprend, on devine que le christianisme a dû abolir l’esclavage, comme le jour abolit les ténèbres, parce qu’ils sont incompatibles. » Cette déclaration aurait suffi. L’antipathie de la loi chrétienne contre l’esclavage n’est pas un théorème dont il soit nécessaire de rechercher la solution : c’est un axiome. M. Cochin n’a pas dédaigné d’apporter des preuves surabondantes pour venger le christianisme de l’injurieuse responsabilité que les théoriciens de l’esclavage voudraient lui imposer. Il y a mis toute l’ardeur de ses convictions religieuses; ne nous plaignons pas de cette dissertation, parfois biblique, qui achève et couronne son livre : c’est une protestation du cœur complétant une démonstration de l’esprit. Seulement ce n’est point sur le terrain du christianisme qu’il faut combattre l’esclavage : celui-ci ne mérite pas d’y avoir accès. Combattons-le sur le terrain des intérêts matériels, puisque c’est là seulement qu’il est encore considéré comme puissant. Attachons-nous principalement à prouver que l’esclavage ruine tout ce qu’il souille. A cet égard, l’argumentation de M. Cochin, appuyée sur l’observation des faits, nous paraît être la plus complète qui ait été publiée depuis l’émancipation : elle réfute et condamne l’esclavage par l’esclavage lui-même, elle provoque l’émancipation par l’exemple des colonies où règne le travail libre; enfin elle prouve une fois de plus que les principes économiques destinés à assurer le bien-être et l’ordre dans les sociétés doivent être d’accord avec les principes qui les dominent, ceux de l’éternelle morale commune à tous les peuples.


C. LAVOLLEE.


V. DE MARS.