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quise, rarement littérature fut plus polie et plus raffinée ; la science était profonde, l’industrie et le commerce versaient leurs richesses sur ce beau pays, et cette société, au milieu de ses splendeurs, était rongée par l’immoralité la plus effrénée et par l’incrédulité religieuse la plus cynique. L’attrait du plaisir était sa seule loi ; les passions n’y connaissaient plus de frein. C’était le temps des crimes subtils et féroces, des débauches ardentes et sanguinaires, des savantes perfidies, des empoisonnemens sournois, des meurtres sacrilèges. Les hommes, mélange des plus belles facultés qui aient été données au génie humain et des âmes les plus perverses, s’appelaient Raphaël, Michel-Ange, Bembo, Castiglione, Guichardin, Machiavel, Riario, Sixte IV, Alexandre VI, César Borgia, Jules II, Léon X. C’est aux destinées de cette société que la papauté devenue italienne, que le pape devenu un de ces princes suivant l’idéal rêvé par Machiavel liait son sort et celui de l’église. C’est au sommet de cette civilisation, et pour en reproduire dans leur éclat le plus grandiose les beautés et les vices, que se plaçait le gouvernement spirituel du catholicisme. La papauté devint le foyer de tous les enchantemens, de toutes les ambitions, de toutes les corruptions de l’Italie. La réaction contre cette ivresse d’ambition et de culture italienne où s’étourdit la papauté produisit la réforme, et la moitié de l’Europe fut perdue pour le catholicisme.

Ceux qui soutiennent que le pouvoir temporel est indispensable au pontificat suprême peuvent-ils oublier une coïncidence si cruelle ? L’époque dont nous parlons est la grande époque du pouvoir temporel des papes, et c’est celle où s’est accompli l’irréparable divorce du protestantisme ! Que l’aveugle égoïsme du pouvoir temporel ait provoqué cette immense révolution et l’ait sans cesse aggravée, cela se lit à toutes les pages de l’histoire des papes qui ont précédé et suivi immédiatement la réforme. Depuis un siècle, les esprits les plus élevés, les âmes les plus saintes, demandaient un concile et la réforme de l’église. Comment les papes dont nous parlons, ces papes qui au point de vue politique ont possédé une puissance plus étendue et ont joué un rôle plus actif et plus prépondérant que les pontifes romains d’aucune autre époque, répondaient-ils aux vœux de la chrétienté ? Sixte IV voulait constituer une principauté à l’un de ses neveux : pour y réussir, il trempait dans la conspiration des Pazzi, il se faisait complice de l’assassinat de Julien et de Laurent de Médicis, consommé dans une église, à l’élévation de l’hostie, par des prêtres payés eux-mêmes par le pape, l’archevêque Salviati et le cardinal Riario. Alexandre VI, ne travaillant qu’à la grandeur de sa maison, tramait les trahisons et osait les crimes qui ont rendu exécrable le nom de Borgia. Jules II ne pensait qu’à conquérir des ter-