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REVUE DES DEUX MONDES.

ce gros matou qui t’avait mis le bras tout en sang, mêmement que monsieur en était sens dessus dessous, et que…

Louise.

Cours donc le servir, bavard ! Il est en train de déjeuner ! M’entends-tu ? À qui est-ce que je parle ?

Coqueret.

Eh bien ! qu’est-ce que je fais ? J’y cours ; mais écoute un mot, Louise ! T’as pas voulu écouter dans le pré ce que je voulais te dire. Tu m’as renvoyé très durement, faut m’entendre ici !

Louise.

Non ! nous n’avons pas le temps.

Coqueret.

C’est le temps qu’il faut prendre, monsieur vient d’arriver, il est de bonne humeur, je vais lui dire ça tout chaud.

Louise.

Comment ? Quoi ? Qu’est-ce que tu veux lui dire ?

Coqueret.

Je lui dirai que je t’aime, que je suis affolé de toi, que j’en deviens imbécile !…

Louise.

Oui ! essaie de lui dire ça, si tu veux qu’il t’envoie promener !

Coqueret.

Ça ne fait rien, ça sera dit, et si tu veux dire comme moi…

Louise.

En voilà assez. Je t’ai dit que ça ne se pouvait pas, que je ne me voulais point marier de si tôt, et qu’il n’y fallait point du tout penser. Ne me parle donc plus de ça, je te le défends ! (Coqueret, qui a mis la veste et les pantoufles sur une chaise, s’assied dessus avec désespoir et se met à pleurer, la tête dans ses mains. Louise le regarde un instant, se détourne et se cache pour pleurer aussi. On entend sonner. Louise essuie ses yeux.) Monsieur sonne ; allons ! va !

Coqueret.

Non, je ne veux plus servir, je me veux faire mourir !

Louise.

Allons ! es-tu fou ? Veux-tu faire attendre monsieur ?

Coqueret.

Il y a dix ans que je l’attends tous les jours, il peut bien m’attendre une fois !

Louise.

Tu veux me faire de la peine ?

Coqueret.

Je peux bien t’en faire, je ne t’en ferai jamais autant comme tu m’en fais !