Et sa fille n’en demandait pas davantage. Il entra néanmoins dans quelques détails. Quand il arriva au récit de la lutte, aux dangers qu’avait courus Bernard Langdon, Elsie, détournant la tête, alla s’accouder à cette fenêtre d’où on voyait, au milieu du gazon, la petite tombe de marbre blanc. Dudley, qui la suivait des yeux avec anxiété, comprit qu’elle se débattait contre une de ces obsessions haineuses qui la rendaient parfois si terrible. Au moment où il racontait le salut inespéré de Bernard et la capture de Dick, elle se retourna, le front rayonnant de colère satisfaite et de joie méprisante ; puis elle s’accouda de nouveau à la fenêtre et sembla s’absorber dans la contemplation de trois ou quatre pigeons à queue d’éventail, ses élèves favoris, qui s’ébattaient sur le gazon funéraire. L’un d’eux, qui becquetait çà et là quelques menus débris du thé de la veille, épars autour de lui, tout à coup battit des ailes, vacilla sur ses pattes raidies, et tomba sur le dos au milieu de ses compagnons accourus pour assister à son agonie. Elsie, poussant un cri déchirant, s’élança hors du cabinet et alla ramasser le pauvre animal, qu’elle couvrit de baisers en cherchant à le réchauffer contre sa poitrine. Il était trop tard. L’oiseau, les yeux grands ouverts, demeura immobile : il était mort.
Ce futile incident, — futile en apparence du moins, — avait suffi pour changer le cours des pensées d’Elsie. Un grand tumulte se faisait dans son âme. De sombres remords, des aspirations désespérées s’y livraient un combat acharné. À qui recourir dans cette angoisse vague, dans ce conflit de tourmens inexpliqués ? A celui-là seulement qui connaît les chagrins des êtres créés par lui et prête l’oreille aux plus faibles gémissemens sortis d’une poitrine humaine. Elsie s’agenouilla donc et voulut prier, mais elle se releva bientôt désappointée ; elle était comme un voyageur dupe du mirage, qui s’agenouille au bord de ce qu’il croit une source, et dont les lèvres ne rencontrent que le sable aride et brûlant.
« Depuis que je ne vous ai vue, Helen, je suis mort,… et me voilà ressuscité !… » Bernard Langdon exprimait ainsi très sincèrement ce qui était son sentiment intime. Jusqu’à quel point il se trompait, ce n’est pas nous qui le dirons. Pour Helen, fille de ministre, elle aurait eu longtemps à discuter ce propos malsonnant ; pourtant elle demeura muette, contemplant avec une stupéfaction douloureuse ce visage qui portait encore les traces de la lutte récente. — Que n’est-il mon frère ? comme je l’embrasserais volontiers ! se disait-elle. Bernard, comprenant son regard humide et devinant les paroles