Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/842

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou retenir de tels maîtres et frapper l’univers avec ces marteaux de Dieu sans en ressentir pour son compte aucun dommage. Cela ne se peut et cela ne se doit pas. L’exemple serait trop mauvais pour le monde, si un peuple pouvait s’abandonner aux fantaisies d’un seul sans avoir rien à souffrir ni dans sa dignité, ni dans sa paix, ni dans sa prospérité.

Ainsi, dès le commencement, notre conception de l’histoire de Napoléon chancelle dans sa base. Cette conception n’a aucune force logique, elle appartient à la fantaisie toute seule, non pas à la raison. Nous voulons le germe et nous ne voulons pas l’arbre. Nous voulons bien la servitude, mais nous voulons qu’elle s’exerce à notre caprice. Nous consentons de grand cœur à être esclaves, mais nous voulons brider le maître. Nous acceptons la cause, nous rejetons l’effet. Voyons s’il n’est aucun moyen d’accorder l’une et l’autre.


III. — PRINCIPES DES CAMPAGNES DE 1812, 1813, 1814.


En ramenant l’histoire de Napoléon aux conditions de toute autre histoire humaine, il faut bien reconnaître que le 18 brumaire contient en soi l’empire et que l’empire contient tout ce qui a suivi jusqu’à sa chute, en y comprenant les deux invasions de 1814 et de 1815. Cette proposition est si simple, qu’on s’étonne d’avoir à la rétablir dans nos histoires, puisqu’elle n’est rien autre chose que l’exposition abrégée des faits.

En même temps qu’ils acceptent le 18 brumaire comme la source d’où découlent leurs récits, nos historiens déclarent que la France était incapable de se régir par elle-même ; il lui fallait se remettre entre les mains d’un sauveur qui penserait et agirait pour elle. Tout l’avenir prochain allait donc dépendre du caractère, du tempérament de ce sauveur, et si la nature en a fait le plus grand homme de guerre des temps modernes et le plus impatient de domination, il est évident que les conquêtes deviendront l’occupation de sa vie, la loi de sa destinée. Si d’ailleurs par ses origines, par sa descendance étrangère, il a dans son esprit un certain idéal de pouvoir que lui seul possède, il n’est pas moins évident qu’il se servira de toutes les forces de la France pour réaliser cette idée particulière. Si de plus cette idée se trouve fausse et irréalisable, il est encore manifeste qu’il se servira de la France comme d’un instrument, jusqu’à ce que cet instrument se brise entre ses mains dans une œuvre impossible. La logique sera maintenue dans l’histoire, parce qu’on y verra les causes produire leurs effets, et la justice aussi sera sauvée, parce qu’un grand peuple sera puni de ses complaisances pour un seul, et un homme de ses caprices au détriment de tous. Par là,