Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/854

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


V. — RESTAURATION DE 1814.


Au commencement de 1814, les Français s’étonnaient encore d’avoir été vaincus ; ils cherchaient sur qui ils pourraient faire peser la responsabilité de leur défaite. Bientôt la maison de Bourbon, qui avait le plus profité des désastres, en parut la première complice. Dès lors cette dynastie put voir combien c’est un don funeste et difficile à garder que celui d’un trône reçu de la main de l’étranger. En peu de mois, la nation avait fait cette découverte que son principal ennemi c’était son gouvernement. Chacun sentait déjà ce qu’il y a d’insupportable dans une paix imposée. Ceux qui avaient espéré goûter au moins le repos dans la restauration s’étonnaient de trouver en toutes choses une guerre intestine, l’étranger, d’autres mœurs, un autre siècle, et comme une autre race d’hommes que l’on ne connaissait plus. De son côté, la légitimité reprochait comme une félonie aux hommes de la révolution l’attachement qu’ils gardaient à leurs souvenirs et à leurs intérêts.

La sincérité même des passions de la restauration était pour elle une cause de faiblesse. Nul gouvernement n’a mis tant de bonne foi et de franchise dans ses haines : il a combattu à visage découvert le siècle nouveau ; par là, il a été le plus éloigné de l’esprit politique qui a fini par prévaloir. La restauration a toujours ignoré ce grand secret que nous avons si bien appris, qu’en accordant aux hommes de nos jours les mots, les apparences, il est possible de leur enlever les choses, presque sans qu’ils s’en doutent. Le caractère du gouvernement de la légitimité est d’avoir attaché aux mots, aux couleurs, aux cocardes, aux oripeaux, à ce qui frappe les yeux de la multitude, autant d’importance qu’aux affaires elles-mêmes. La moindre concession de langage sur ces points lui était odieuse ; elle mit ainsi tout le monde dans la confidence de l’horreur qu’elle éprouvait pour les bienfaits de la révolution. Il en est résulté que tout est devenu signe de ralliement contre une dynastie qui procédait avec la témérité passionnée d’un autre siècle au milieu des calculs du nôtre.

Quand le peuple lui-même eût voulu se tromper, il n’aurait pu y réussir. La restauration, en affichant partout sa victoire, la dénonçait à la haine publique. Le gouvernement des Bourbons, pour le vain plaisir d’humilier ses anciens adversaires, risquait à chaque moment son existence. Il jouait pour une cocarde le trône de France. Même les numéros des régimens leur furent ôtés, comme si on leur eût enlevé par là leurs souvenirs !

Quelle n’a pas été l’influence du drapeau blanc substitué au drapeau de la révolution ! Le peuple, qui ne lit pas, juge de tout par les signes, par l’apparence, et d’ailleurs une certaine simplicité, qui