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aucun obstacle à un envahisseur entreprenant. Une raison décisive fera choisir à Napoléon ces mêmes lieux pour ouvrir la campagne.

Les cantonnemens de l’armée anglaise prouvent que le duc de Wellington n’a aucun pressentiment des projets qui le menacent ; soit méprise, soit disposition naturelle dans un Anglais à s’appuyer de la mer, et crainte d’en être séparé, le duc de Wellington prolonge au loin ses cantonnemens vers l’Escaut. C’est de ce côté qu’il attend l’ennemi ; trompé par cette idée, qui résistera longtemps chez lui à l’évidence contraire, il a disséminé ses troupes sur l’immense ligne de Nivelles à Mons, à Ath, à Audenarde. Sa réserve est dans les environs de Bruxelles, où il a établi son quartier-général. Il lui sera impossible de rassembler son armée en moins de quatre jours.

Blücher occupe au midi une ligne presque aussi étendue, de Charleroi à Namur, à Ciney, à Liège. Son quartier-général est à Namur. Il lui faudra trente-six heures pour réunir ses quatre corps. La cause en est l’impossibilité de faire vivre ses troupes dans un plus petit rayon à cause de l’hostilité sourde des habitans. Voilà l’excuse du général prussien. Quant au général anglais, il n’a pas songé à se justifier, par oubli, par dédain, ou parce qu’à ses yeux la victoire a tout couvert.

Quoi qu’il en soit, c’était pour Napoléon une grande tentation de percer des lignes si démesurément allongées. Il est difficile qu’il ne profite pas des chances presque assurées que lui offre l’imprévoyance de l’ennemi ; mais où, rompra-t-il cette longue chaîne de cantonnemens ? S’il débouche par Mons sur l’extrême droite des Anglais, il pourra sans doute les séparer de la mer, leur patrie, leur refuge ; mais il les refoulera sur l’armée prussienne, et ne fera ainsi que hâter la jonction qu’il redoute. Même résultat s’il attaque la gauche prussienne sur la Meuse : Blücher sera rejeté sur Wellington ; les forces ennemies seront encore une fois rassemblées dès l’entrée en campagne.

Napoléon ne débouchera ni sur la droite anglaise, ni sur la gauche prussienne. Il se placera entre les deux armées, au centre de la ligne, c’est-à-dire à l’extrême droite des cantonnemens prussiens. Par là le duc de Wellington et le maréchal Blücher seront séparés dès la première heure. L’occasion, le moment décidera sur laquelle des deux armées il faudra frapper les premiers coups. Que les deux masses ennemies soient d’abord partagées, après quoi on renouvellera contre elles, l’une après l’autre, la manœuvre de Castiglione, tant de fois couronnée de succès. Ce mouvement portera l’armée française de l’autre côté de la Sambre sur la grand’route de Bruxelles ; on y trouvera partout des populations amies, prêtes sans doute à se prononcer dès le moindre succès. Et, chose aussi de bon augure !