Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/900

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tions du dehors, mais qui ne se laisse pas anéantir par elles, qui ne supporte pas ce qui va contre ses nécessités, et qui impose le plus au non-moi ses propres lois.

J’irais même plus loin, si je ne craignais de donner une définition trop arrêtée de ce qui reste encore vague pour moi : je dirais que l’imagination, à parler strictement, n’a rien à faire avec le monde extérieur, qu’elle est purement un acte de notre propre vie. Ce n’est point une réalité qui vient se faire pensée en nous, c’est une pensée ou un sentiment à nous, une aspiration ou une sensibilité de notre être, qui se définit sous l’apparence d’une réalité. Il se peut que notre esprit ait été mis en jeu par un objet sensible, et alors, comme la conception qui s’enfante dans notre esprit ressemble à cet objet, nous la prenons assez naturellement pour une simple représentation ; mais, en examinant mieux, nous découvrons vite que cette conception n’est pas même une tentative pour nous figurer le fait extérieur, qu’elle ne traduit vraiment et ne cherche à traduire qu’une impression personnelle éveillée en nous par ce fait. Et il me semble que nous avons là le secret de l’énigme que M. Ruskin proclamait si complètement insoluble. Comment l’imagination peut-elle trouver avec tant de justesse les moyens d’atteindre un résultat qu’elle ne soupçonne pas à l’avance? Elle le peut précisément parce que sa conception est l’acte d’un sentiment qui ne se connaît pas encore, et qui fait effort pour se connaître. Le langage ici peut nous servir de parfait exemple. Quand nous prenons la parole, nous ne savons pas les mots qu’il nous faut, et il est impossible que nous le sachions, puisque c’est le besoin même de nous rendre compte d’une idée encore vague qui nous sollicite à parler; mais nous n’en portons pas moins déjà notre idée dans notre sein : déjà elle a son individualité, elle est ce qu’elle est, elle aspire à se manifester telle qu’elle est, et en se heurtant à tout ce qu’elle rencontre dans notre esprit, elle s’apprend elle-même mot à mot, comme chaque homme, dans la vie, apprend son propre caractère au contact des circonstances qu’il rencontre.

Maintenant, à la place d’une pensée qui se dégage de notre intelligence et qui cherche des mots pour s’individualiser, supposons un sentiment qui naît en nous de lui-même ou au contact d’une chose et qui cherche des images pour se rendre sensible : nous aurons le procédé exact de l’imagination. Sans métaphore aucune, elle n’est que la langue figurée avec laquelle notre esprit se raconte à lui-même ses impressions, et les accords d’images qu’elle produit n’ont pas plus de rapports avec la conformation des réalités que les accords de mots qui nous servent à parler d’un minéral n’ont de rapports avec les affinités chimiques qui relient ses élémens. La méta-