Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/929

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à Paris sous le nom de mauviettes mets fort cher, comme on l’a fait remarquer avec raison, car si l’on tient compte des dommages causés par les insectes qu’ils auraient dévorés, chaque plat représente peut-être plusieurs sacs de blé, plusieurs tonneaux de vin, plusieurs stères de bois. Si encore le vandalisme s’arrêtait Là, on pourrait à la rigueur le comprendre, parce qu’après tout cette chasse, si stupide qu’elle soit, a un but; mais ce qui ne s’explique pas, c’est l’enlèvement des nids et la recherche des œufs, dont on ne peut tirer parti d’aucune façon. Ce plaisir, auquel se livrent la plupart des enfans des campagnes, anéantit en pure perte plus de cent millions d’œufs par an, et c’est par milliers de milliards qu’il faut compter les insectes qu’auraient détruits les oiseaux qui en seraient sortis. Il serait facile cependant de réagir contre ces actes de sauvagerie; il suffirait, dans les écoles primaires, de faire comprendre aux enfans toute l’utilité de ces animaux. Les hommes ne sont méchans que par ignorance, et quand ils sauront discerner leur véritable intérêt, au lieu de persécuter les oiseaux, ils chercheront à en multiplier le nombre, à les attirer auprès d’eux en leur construisant des abris, en les nourrissant pendant l’hiver, en plantant autour des habitations des haies et des buissons où ils puissent faire leurs nids. Ces services ne seront pas perdus; ils trouveront leur récompense dans la destruction de toutes les chenilles et autres insectes qui sont la plaie des moissons, aussi bien que dans les chants joyeux qui ne cesseront de retentir dans les airs.

Ce sont surtout les Italiens qui s’adonnent avec fureur à cette chasse des petits oiseaux à l’époque des migrations. « Au printemps, dit un naturaliste allemand, M. de Tschudi, et surtout à l’automne, ils semblent pris d’une véritable rage. Gens de tout âge et de toute condition, enfans, vieillards, nobili, négocians, prêtres, ouvriers, manœuvres, paysans, tous abandonnent leur travail pour attaquer comme des bandits les troupes émigrantes. Au bord des ruisseaux comme dans les champs, l’air retentit de coups de feu, on pose des filets, on dresse des pièges, on place des gluaux... Pour se faire une idée de ces exterminations, il suffit de savoir que dans un seul district, au bord du Lac-Majeur, le nombre des oiseaux égorgés chaque année s’élève de 60 à 70,000, et que dans la Lombardie il se monte à plusieurs millions. Dans l’Italie du sud, c’est la même chose; l’extermination atteint des multitudes innombrables... Faut-il s’étonner dès lors si l’on entend rarement le chant d’un oiseau en Italie et si les moineaux mêmes y deviennent une rareté? Il règne comme une odeur de meurtre dans le riant pays des orangers... Mais c’est nous surtout, en-deçà des Alpes, qui avons le plus à souffrir de cet état de choses, et nous en ressentons les effets dans nos forêts