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table science qui, comme le blason, a son langage spécial, incompris des profanes. Elle avait une importance réelle à l’époque où la chasse, image de la guerre, comme disent les anciens auteurs, était une des occupations les plus sérieuses auxquelles nos rois pussent se livrer, et fut l’objet de traités spéciaux fort nombreux, dont le plus estimé est celui que Jacques Du Fouilloux, gentilhomme poitevin, rédigea pour Charles IX. Cette science est assez négligée de nos jours, et l’on chasse maintenant un peu à l’aventure, sans trop s’inquiéter des préceptes des maîtres. La grande chasse d’ailleurs tend à disparaître en même temps que les grandes fortunes et les grandes forêts. Pour courre le cerf, il faut un équipage de soixante ou quatre-vingts chiens, de vingt-cinq ou trente chevaux, piqueurs et valets en proportion. Ce sont des dépenses auxquelles les fortunes seigneuriales peuvent seules faire face, à moins que le principe de l’association, passant des affaires aux plaisirs, ne vienne les répartir sur un certain nombre d’individus.

On force le cerf, on ne le tire pas, car l’intérêt de la chasse est dans la chasse elle-même et non dans l’animal qu’on tue. La France possédait autrefois des races de chiens excellens pour cet objet : c’étaient ceux de la Saintonge et du Poitou, généralement blancs ou fauves, au large poitrail, à la gorge sonore. Ils chassaient lentement, mais en donnant toujours de la voix, et mettaient parfois dix heures à forcer l’animal. Ils ont été remplacés de nos jours par des chiens anglais (fox-hunds] qui le forcent en une heure, mais à qui la rapidité de la course ne permet pour ainsi dire pas de donner un coup de voix. C’est un grand plaisir de moins, mais il faut avant tout aller vite. Time is money.

Pour chasser le cerf, on commence par faire le bois. Le piqueur, tenant en laisse un limier, c’est-à-dire un chien à l’odorat très subtil et dressé à ce service, se rend de grand matin en forêt. Il fait successivement le tour des divers massifs, épiant le moment où le limier, en pesant sur sa laisse et sans donner de voix, lui fait comprendre qu’un animal a dû pénétrer à cet endroit. Au pied, aux fumées, le piqueur doit reconnaître s’il a affaire à un daguet ou à un jeune cerf, à un dix cors ou à une biche. Il casse une branche pour reconnaître la place (cela s’appelle faire une brisée), et achève en suite le tour du massif pour s’assurer que la bête entrée d’un côté n’est pas ressortie par un autre. On dit alors qu’elle est rembuchèe, c’est-à-dire qu’on sait où, en revenant de la plaine, elle s’est retirée pour passer la journée. Il faut, on le conçoit, une grande habitude pour faire le bois et un grand esprit d’observation pour ne pas se tromper sur l’âge et la qualité de l’animal. Les chasseurs cependant se sont donné rendez-vous sur un point de la forêt pour entendre