Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/984

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sans aucun scrupule, et l’iniquité se produisait finalement « par et vice naturel attaché à l’autorité des tyrans, dont les désirs sont tenus en telle adoration que ce qu’ils ne disent point, on cherche à le deviner autour d’eux (le voluntà de quali sono avute in tanto rispett, che eziandio tacendo loro, gli uomini cercano di indovinarle.) » Ne les vit-on pas enfin, ces Médicis, refuser absolument d’établir des lois fixes pour la perception des impôts, afin d’accabler à leur gré les familles qui leur étaient hostiles et d’étendre aussi leur joug sur les citoyens qui leur eussent échappé par leur éloignement des affaires publiques ou leur indifférence ?

Voilà ce que démontre l’expérience ; mais encore une fois certaines questions de principes la dominent : « ceux qui ont l’âme grande et l’esprit généreux ne peuvent ni ne doivent vivre contens sous la servitude : » ils ne peuvent ni ne doivent préférer la soumission sous le bon plaisir d’un maître à la responsabilité envers la patrie et eux-mêmes. « Au tyran déplaisent tous les esprits élevés, tous les mérites éminens, surtout quand leur crédit vient de la vertu, qui se peut le moins abattre… Je ne veux appliquer ces paroles à personne en particulier, mais vous savez tous que je ne les dis pas au hasard. » Si le premier objet de tous ceux qui ont gouverné avec justice, si le premier soin des philosophes qui ont écrit de la politique a été de favoriser la vertu et le perfectionnement des intelligences, combien doit-on blâmer un gouvernement qui met tous ses soins à éteindre la générosité dans les âmes ! Quelle honte ce fut pour notre patrie (che vituperio ! che vergogna !) le jour où la nouvelle se répandit dans toute l’Italie et dans le monde entier que Florence, jusqu’alors une si noble ville, si généreuse, si respectée, qui passait pour être la plus ingénieuse des cités, était devenue esclave contre sa volonté, étouffée par ses richesses mêmes et par le poignard des braci et des partisans, devenue esclave, lâche et pusillanime jusqu’à être gardée en cet état, non par des armées ni par quelques bataillons, mais par vingt-cinq estafiers ! Je ne sais pas de malheur plus grand pour une république, à moins d’être mise à sac par le fer et le feu, que de perdre son honneur et sa bonne renommée, de se laisser enlever timidement cette dignité et cette splendeur qui lui avaient coûté tant d’argent et tant de nobles vies ! »

Tels sont les argumens des adversaires de Bernardo. L’un, Soderini, a surtout invoqué les principes ; l’autre, Capponi, s’est chargé de condamner les Médicis par les témoignages de l’expérience. La parole est maintenant à Bernardo ; les jeunes gens se pressent autour de lui et l’écoutent avec déférence. Suivons-le nous-mêmes, et n’allons pas imaginer, à entendre ses maximes, qu’il puisse s’agir ici d’une autre époque que le XVIe siècle italien.