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on se réunit à chercher ensemble comment on pourra mener à bien la dernière révolution et la conduire vers les meilleurs résultats. A vrai dire, deux opinions seulement sont en présence, celle de Bernardo et celle de ses trois visiteurs.

« Il n’y a, dit Bernardo, que trois formes imaginables de gouvernement : celui d’un seul, celui de quelques-uns, celui de tous. Le premier peut seul être bon. » Pour le démontrer, Bernardo n’aura pas recours à des théories qu’il croit vaines: c’est l’expérience qui doit, à l’entendre, décider en pareille matière. «Voyons donc quels ont été les résultats du gouvernement des Médicis, et nous chercherons ensuite quelles seront les conséquences naturelles des deux autres gouvernemens. Ne sera-ce pas la meilleure route? — Non, disent les jeunes gens. Ce n’est pas par l’expérience, ou du moins ce n’est pas par elle uniquement qu’il faut se déterminer en politique. Il y a ici, comme en morale, des principes dont il ne faut pas se départir et qui dominent tout. Du reste, si ces principes sont fondés sur la raison et la vérité, l’expérience les vérifiera nécessairement. » Cela dit, on accepte la discussion sur le terrain où Bernardo l’a placée, et elle s’engage d’abord à propos des mérites et des vices du gouvernement des Médicis.

Capponi surtout les charge avec l’ardeur d’une conviction généreuse. Dans un état comme celui de Florence, il faut considérer, pense-t-il, trois choses : l’administration de la justice, la distribution des honneurs et la politique du dehors. Pour ce dernier point, qu’arrive-t-il sous le gouvernement d’un seul? Ce n’est plus l’intérêt de la république, mais celui d’un individu ou d’une famille qui devient la règle des alliances et des traités. Le peuple, qui s’aperçoit bien qu’on ne traite pas ses propres affaires, ne supporte plus si volontiers les charges de la guerre. Enfin la gloire ou la honte de l’état dépend des talens ou des fautes d’un seul homme qui peut tout compromettre, témoin la perte de Pise, qu’il faut reprocher éternellement à la mémoire de Pierre de Médicis. — Au dedans, comment sont distribués les honneurs et les grâces auxquels tout citoyen participant aux charges de la république doit avoir, s’il les mérite, un facile accès? S’il s’agit des Médicis, qu’on se rappelle leur favoritisme exclusif, l’oubli de la naissance et de la vertu, les grâces prodiguées aux flatteurs, aux femmes et au plus bas domestique, toute une partie des citoyens, par exemple les Strozzi et leurs partisans, exclus à jamais, eux, leurs familles et leurs descendans, de tous les emplois publics, les plus grands honneurs au contraire confiés à des gens de la plèbe ou à des familles déshonorées. Quant à l’administration de la justice, si les Médicis évitaient de peser eux-mêmes sur les juges, leurs ministres et leurs favoris le faisaient sous leur nom