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résister. — Vous accusez la répartition des impôts. Craignez que, sous le gouvernement populaire, les pauvres, facilement envieux, ne frappent les riches jusqu’à les réduire outre mesure, au grand détriment de la cité, car leurs richesses font l’honneur de la patrie et tournent finalement à l’avantage du pauvre. Comment d’ailleurs pourrez-vous établir l’assiette fixe de l’impôt? L’impôt foncier est de peu d’importance dans un pays où la fortune territoriale fait défaut, et quant aux propriétés mobilières, il est en partie impossible de les atteindre : l’argent se dissimule de mille manières. Tiendrez-vous compte aisément de tous les contrats et de toutes les transactions particulières? Irez-vous, quand ce serait possible, publier l’état réel des affaires d’un négociant dont toute la fortune repose sur le crédit? Vous accusez la mauvaise distribution des emplois, comme s’il était possible que le maître ne sentît pas le besoin de s’appuyer sur des hommes de mérite et de talent, et comme si les mauvais choix n’étaient pas encore plus funestes sous un gouvernement populaire, où le fonctionnaire supporte seul tout le poids de sa charge, que dans l’état despotique, où il se sent dirigé et corrigé. S’il s’agit enfin de la politique étrangère, combien plus d’unité, combien plus de secret dans les vues, combien plus de rapidité dans les entreprises sous le gouvernement d’un seul!

« — Souhaitez-vous donc le retour de Pierre de Médicis?

« — Je parlerai librement et sans passion. Je voudrais que Pierre n’eût pas été renversé, parce que je ne vois pas ce que nous aurons gagné à ce changement;... mais, comme je l’ai dit aussi, je ne crois pas que les changemens fassent du bien à notre cité. Puisque Pierre est chassé, je ne désire pas qu’il revienne. D’ailleurs il ne pourrait rentrer maintenant que ramené par les armes étrangères, pour le malheur et la honte de notre patrie, ou bien par suite des divisions qui pourraient naître parmi nous, rappelé par un parti au milieu de nos déchiremens civils. Que rapporterait-il enfin, sinon de toute nécessité certains désirs de vengeance et la volonté d’assurer désormais son pouvoir par la force et de réparer sa fortune détruite?... Non, je ne désire pas une restauration, je ne demande pas le retour des Médicis; je vous supplie au contraire de faire en sorte qu’il devienne impossible, c’est-à-dire de maintenir l’union dans la république. Cette union dépend de vous; il faut vous contenter de ce que les circonstances vous apporteront de succès réels, sans prétendre à la satisfaction de vos derniers désirs. Il faut aussi que les principaux citoyens oublient leur propre ambition, afin d’éviter les divisions intestines qui préparent l’élévation d’un nouveau tyran ou livrent carrière à la dissolution et à l’anarchie... Mais comment me laissé-je entraîner à vous donner des conseils, à vous qui savez tout cela mieux que moi? L’affection, non la présomption, m’a emporté; mais vous m’excuserez. Voici l’heure du repas : s’il vous plaît ainsi, nous en resterons là pour aujourd’hui; puisque de toute façon vous ne me quitterez pas demain matin sans avoir déjeuné, nous aurons le temps d’ajouter ce qui resterait à dire. Andiamo dunque a cena. — Andiamo. »


Ainsi se termine le premier livre. Dans le second, nous l’avons dit, le champ de la discussion se restreint: il ne s’agit plus du