Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/987

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passé; on examine quelles sont les conditions qu’a faites à Florence la dernière révolution, et quels sont les moyens de faire réussir le mieux possible le nouveau gouvernement. Malgré son loyal désir d’y contribuer par ses conseils, Bernardo retrouve sans cesse des objections. «Vous voulez imiter Venise, dit-il, et vous avez tort; Venise et Florence ne sont pas faites pour le même gouvernement. Venise a des institutions séculaires que la tradition consacre aujourd’hui à ses propres yeux et qu’elle respecte par une longue habitude; Florence au contraire va de changement en changement. Venise a une noblesse à la fois puissante et habile, qui laisse parvenir aux honneurs et aux principaux emplois de la république tous ceux qui s’en montrent dignes; Florence au contraire a perdu son aristocratie, et elle est éprise d’un sentiment d’égalité qui n’exclut pas l’envie. Venise a un vaste empire au dehors, qu’elle gouverne par sa marine et par sa diplomatie; Florence a un territoire continental relativement peu étendu, compacte, mais qui lui crée des relations constantes avec beaucoup d’états voisins. Pour Venise, un immense commerce et une incomparable richesse comptent parmi les secrets de sa grandeur, tandis que, pour Florence, la prospérité matérielle est devenue, dès avant le règne des Médicis, une source d’affaiblissement moral... »

Joignons à ces lignes le souvenir de la curieuse page de l’Histoire florentine où nous avons vu décrite en un style d’une admirable ampleur cette prospérité italienne que l’arrivée des Français grossiers et barbares était venue subitement interrompre : quels magnifiques témoignages n’avons-nous pas de ce que fut au commencement du XVIe siècle l’Italie de la renaissance, et quel précieux tableau d’ensemble à côté des minutieuses descriptions qu’on trouvera dans le second livre du dialogue! Quant à la comparaison de Florence avec Venise, qu’on mette à la place de ces deux noms de villes ceux des deux nations les plus puissantes de notre temps : ne croirait-on pas entendre les mêmes argumens qu’invoquent pour expliquer une rivalité et une diversité contemporaines les politiques d’aujourd’hui? Que d’enseignemens dans ce dialogue du XVIe siècle, qui agite les mêmes problèmes si ardemment discutés au XIXe ! Renvoyons au plaidoyer de Capponi ceux qui traitent de paradoxes inventés par quelques beaux-esprits de nos jours ces principes que la liberté et l’égalité ne sont pas une même chose, que la liberté est bonne en soi, qu’il faut s’obliger à l’aimer, mais qu’on en doit remplir les devoirs avant d’en réclamer les droits, qu’elle mérite enfin d’être achetée même au prix de quelques maux, que le souverain bien d’un peuple n’est pas la prospérité matérielle, mais la dignité et l’honneur. Non, toutes ces croyances ne sont pas inventées d’hier; loin de là, elles sont déjà vivantes dans les ouvrages de l’antiquité, dans