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Catherine, arrivée devant la scierie, disait alors à Labarbe de déposer à terre une petite tonne d’eau-de-vie qu’elle avait amenée de la ferme, et de chercher la cruche du ségare dans la hutte.

Quelque temps après, Hullin, en s’approchant du feu, rencontra Materne et ses deux garçons.

— Vous arrivez tard ! lui dit le vieux chasseur.

— Hé ! oui. Que veux-tu ? il a fallu descendre du Falkenstein, prendre le fusil, embarquer les femmes… Enfin nous voilà, ne perdons plus de temps… Lagarmitte, souffle dans ta corne, que tout le monde se réunisse ! Avant tout, il faut s’entendre,… il faut nommer des chefs.

Lagarmitte soufflait déjà dans sa longue trompe d’écorce, les joues gonflées jusqu’aux oreilles, et les bandes encore dispersées le long des sentiers, sur la lisière des bois, hâtaient le pas pour arriver à temps. Bientôt tous ces braves gens furent réunis en face de la scierie. Hullin, devenu grave, monta sur une pile de tronces, et, promenant sur la foule des regards profonds, il dit au milieu du plus grand silence : — L’ennemi a passé le Rhin avant-hier soir ; il marche sur la montagne pour entrer en Lorraine : Strasbourg, Schlestadt, Huningue sont bloqués. Il faut nous attendre à voir les Allemands et les Russes demain ou après-demain.

Il y eut un cri général de « vive la France ! »

— Oui, vive la France ! reprit Jean-Claude, car si les alliés arrivent à Paris, ils sont maîtres de tout : ils peuvent rétablir les corvées, les dîmes, les couvens, les privilèges et les potences ! Si vous voulez avoir tout ça, vous n’avez qu’à les laisser passer.

On ne saurait peindre la fureur sombre de toutes ces figures en ce moment.

— Voilà ce que j’avais à vous dire ! cria Hullin tout pâle. Puisque vous êtes ici, c’est pour vous battre.

— Oui ! oui !

— C’est bien ; mais écoutez-moi. Je ne veux pas vous prendre en traître. Il y a parmi vous des pères de famille. Nous serons un contre dix, contre cinquante : il faut nous attendre à périr ! Ainsi que les hommes qui n’auraient pas réfléchi à la chose, qui ne se sentiraient pas le cœur de faire leur devoir jusqu’à la fin, s’en aillent. On ne leur en voudra pas. Chacun est libre.

Puis il se tut, regardant autour de lui. Tout le monde restait immobile ; c’est pourquoi d’une voix plus ferme il finit ainsi :

— Personne ne se retire ; tous, tous vous êtes d’accord pour vous battre ! Eh bien ! cela me réjouit. Maintenant il faut nommer un chef. Dans les grands dangers, la première chose est l’ordre, la discipline. Le chef que vous allez nommer aura tous les droits de commander