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oreilles couvertes d’un bonnet de peau de loutre, la barbe jaune descendant en pointe jusqu’à la ceinture. Ses mains, couvertes de gants de grosse laine vert grenouille, s’appuyaient sur un énorme bâton de cormier noueux. Il était vêtu d’une longue capote de bure ; on l’aurait pris pour un ermite. Chaque fois que des rumeurs s’élevaient quelque part, le père Jérôme tournait lentement la tête, et prêtait l’oreille en fronçant le sourcil.

Jean Labarbe, lui, le coude sur le manche de sa hache, restait impassible. C’était un homme aux joues pâles, au nez aquilin, aux lèvres minces. Il exerçait une grande influence sur ceux du Dagsberg par sa résolution et la netteté de son esprit. Quand on criait autour de lui : « Il faut délibérer ! nous ne pouvons rester là sans rien faire ! » il se bornait simplement à dire : « Attendons ; Hullin n’est pas encore arrivé, ni Catherine Lefèvre… Rien ne presse. » Tout le monde alors se taisait, regardant avec impatience vers le sentier des Charmes.

Le ségare Piorette, petit homme sec, maigre, énergique, les sourcils noirs joints sur le front, un bout de pipe aux dents, se tenait sur le seuil de sa hutte, et contemplait d’un œil vif et profond à la fois l’ensemble de cette scène.

Cependant l’impatience grandissait de minute en minute. Quelques maires de village, en habit carré et chapeau à cornes, se dirigeaient vers la scierie, appelant leurs communes à délibérer. Fort heureusement la charrette de Catherine Lefèvre apparut enfin dans le sentier des Bouleaux, et mille cris d’enthousiasme s’élevèrent aussitôt de tous côtés : « Les voilà ! les voilà ! ils arrivent ! » Le vieux Materne se dressa sur une tronce, et descendit gravement, disant : « Ce sont eux ! »

Il se fit une grande agitation. Les groupes éloignés se rapprochèrent ; chacun accourut. Une sorte de frisson d’impatience dominait la foule. À peine vit-on distinctement la vieille fermière, le fouet en main, sur sa botte de paille avec la petite Louise, que de toutes parts retentirent jusqu’au fond des échos les cris de : « Vive la France ! vive la mère Catherine ! »

Hullin, resté en arrière, son grand chapeau sur la nuque, le fusil de munition en bandoulière, traversait alors la prairie de l’Eichmath, distribuant des poignées de main énergiques : — Bonjour, Daniel ! bonjour, Colon ! bonjour, bonjour !

— Hé ! cela va chauffer, Hullin.

— Oui, oui, nous allons entendre éclater les marrons cet hiver. Bonjour, mon vieux Jérôme, nous voilà dans les grandes affaires.

— Mais oui, Jean-Claude. Il faut espérer que nous en sortirons avec la grâce de Dieu.