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blessé, Michel tué; Ney est renversé de cheval (c’est le cinquième qui a été tué sous lui dans cette journée). Il se relève, l’épée à la main. Le 1er bataillon s’est arrêté. En voyant cette légion de héros chanceler sous la mitraille, Ney s’indigne. Il leur crie : «Lâches! ne savez-vous donc plus mourir? » Le général Poret de Morvan mêle ses cris à ceux du maréchal. La colonne reprend le pas de charge; elle a atteint le sommet de l’escarpement. Sur cette éminence, quand les grenadiers, avec leurs hauts bonnets à poil, couronnèrent la cime, ils semblèrent gigantesques à l’ennemi[1]. Devant eux se présentent en colonnes serrées les bataillons de Brunswick. Ces bataillons sont dispersés; ceux de Nassau les remplacent. La garde avance; les soldats de Nassau sont rejetés jusque sous la tête des chevaux du 10e de hussards anglais. Wellington s’élance au-devant des Brunswickois; il les rallie, puis il court à la batterie placée à la droite de Maitland. Cette batterie prend en flanc les colonnes de grenadiers. Ils avancent encore; ils touchent à l’endroit où étaient couchés à terre les régimens des gardes. Une voix crie : « Gardes, debout, et visez bien! » Les régimens se dressent de terre en une ligne étendue, et ils ouvrent leur feu. En un instant, les premiers rangs français sont abattus. Le colonel Mallet, les chefs de bataillon Cardinal, Agnès, les deux frères Angelet tombent morts ou blessés. On vit alors les officiers se détacher en tête et sur les flancs des colonnes mutilées, et commander de déployer pour se servir de leur feu; mais à mesure que les têtes de colonnes se reformaient, elles étaient continuellement broyées sous la fusillade et la canonnade croisée de toute une armée. Les plus rapprochés tourbillonnent sans vouloir céder le terrain, ou ils disparaissent sur les flancs, pendant que d’autres en arrière font feu par-dessus la tête de ceux qui les précèdent. L’espoir reste encore d’emporter le centre anglais, si la dernière réserve, laissée à quinze minutes en arrière, arrive à temps; mais cette réserve est encore loin, et l’on dit que sur les 2,900 hommes qui ont gravi le plateau, il en reste à peine 700 en état de combattre. Étonnés, ceux-ci redescendent des hauteurs. Les blessés les précèdent en foule et se dispersent. Cette nouvelle incroyable se répand que la garde a été repoussée, qu’elle bat en retraite. À ce premier bruit, les rangs d’une partie de la ligne commencent à flotter.

Mais il reste un grand espoir. La première attaque de la garde a échoué; il s’en prépare une seconde. C’est Napoléon lui-même qui cette fois range les cinq nouveaux bataillons presque encore intacts qui viennent de la Belle-Alliance. Ce qu’il ne faisait jamais dans les guerres précédentes, il le fait à ce moment suprême. Il marque aux

  1. Siborne.