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— Alors c’est que l’ennemi essaiera de tourner la place par le Graufthâl. Dans tous les cas, les alliés sont là-bas. Il doit y avoir terriblement de monde en Alsace.

Puis, se tournant vers Materne, debout derrière lui : — Nous ne pouvons plus rester dans l’incertitude, dit-il ; tu vas partir avec tes deux fils en reconnaissance.

La figure du vieux chasseur s’éclaira. — À la bonne heure dit-il, je vais donc pouvoir me dégourdir un peu les jambes et tâcher de décrocher un Autrichien ou un Cosaque.

— Un instant, mon vieux ; il ne s’agit pas ici de décrocher quelqu’un,… il s’agit de voir ce qui se passe. Frantz et Kasper resteront armés ; mais toi, je te connais, tu vas laisser ici ta carabine, ta corne à poudre et ton couteau de chasse.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’il faut entrer dans les villages, et que si l’on te prenait armé, tu serais fusillé tout de suite.

— Fusillé ?

— Sans doute… Nous ne sommes pas des troupes régulières… On ne nous fait pas prisonniers, on nous fusille. Tu suivras donc la route de Schirmeck un bâton à la main, et tes fils t’accompagneront de loin dans les taillis, à demi-portée de carabine. Si quelques maraudeurs t’attaquent, ils viendront à ton secours ; mais si c’est une colonne, un peloton, ils te laisseront prendre.

— Ils me laisseront prendre ! s’écria le vieux chasseur indigné ; je voudrais bien voir ça !

— Oui, Materne, et ce sera le plus simple, car un homme désarmé, on le relâche,… un homme armé, on le fusille. Je n’ai pas besoin de te dire qu’il ne faut pas chanter aux Autrichiens que tu viens les espionner.

— Ah ! ah ! je comprends. Oui, oui, ce n’est pas mal vu… Moi, je ne quitte jamais ma carabine, Jean-Claude, mais à la guerre comme à la guerre ! Tiens, la voilà ma carabine, et ma corne, et mon couteau. Qui me prête une blouse et un bâton ?

Nickel Bentz lui donna son sarrau bleu. Lorsqu’il eut changé d’habits, malgré ses grosses moustaches grises, on aurait pris le vieux chasseur pour un simple paysan de la haute montagne. Ses deux garçons, tout fiers d’être de cette première expédition, vérifiaient l’amorce de leur carabine et mettaient au bout du canon la baïonnette du sanglier, droite et longue comme une épée ; ils tâtaient leur couteau de chasse, poussaient la gibecière d’un mouvement d’épaules sur leurs reins, et, s’assurant que tout se trouvait bien en ordre, promenaient autour d’eux des regards étincelans. Ils descendirent bientôt vers le petit sentier qui coupe la droite de la montagne. Les partisans les suivaient du regard. Leurs grands cheveux roux fri-