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bandier se plaignait amèrement de rester les bras croisés ; il se regardait comme déshonoré de n’avoir rien à faire. — Bah ! lui dit Hullin, tant mieux ! D’ailleurs tu surveilles notre droite. Regarde ce plateau là-bas. Si l’on nous attaque de ce côté, tu marcheras ! — Divès ne dit rien ; il avait une figure à la fois triste et indignée, et ses grands contrebandiers, enveloppés de leurs manteaux, leurs longues brettes pendant au-dessous, ne semblaient pas non plus de bonne humeur. On aurait dit qu’ils méditaient une vengeance. Hullin, ne pouvant les consoler, entra dans la métairie. Le docteur Lorquin était alors en train d’extraire la balle de la blessure de Baumgarten, qui jetait des cris terribles.

Pelsly, sur le seuil de sa maison, tremblait de tous ses membres. Jean-Claude lui demanda du papier et de l’encre pour expédier ses ordres dans la montagne ; c’est à peine si le pauvre anabaptiste put les lui donner, tant il était troublé. Cependant il y parvint, et les piétons partirent, tout fiers d’être chargés d’annoncer la première bataille et la victoire.

Quelques montagnards, rentrés dans la grande salle, se réchauffaient au fourneau et causaient avec animation. Daniel Spitz avait déjà subi l’amputation de ses deux doigts, et se tenait assis derrière le poêle, la main enveloppée de linge. Ceux qui avaient été postés derrière les abatis avant le jour, n’ayant pas déjeuné, vidaient un verre de vin, tout en criant, gesticulant et se glorifiant la bouche pleine. Puis on sortait, on allait jeter un coup d’œil dans la tranchée, on revenait se chauffer, et tout le monde, en parlant de Riffi, de ses lamentations à cheval et de ses cris plaintifs, riait à se tordre les côtes. Il était alors onze heures. Ces allées et ces venues durèrent jusqu’à midi, moment où Marc Divès entra tout à coup dans la salle en criant : Hullin ! où est Hullin ?… L’accent du contrebandier avait quelque chose de bizarre ; tout à l’heure furieux de n’avoir pas pris part au combat, il semblait triomphant. Jean-Claude le suivit fort inquiet, et la grande salle fut évacuée sur-le-champ, tout le monde étant convaincu, d’après l’animation de Marc, qu’il s’agissait d’une affaire grave.


XIII.

À droite du Donon s’étend le ravin des Sureaux, où bouillonne un torrent à la fonte des neiges ; il descend de la cime de la montagne jusqu’au fond de la vallée. Juste en face du plateau défendu par les partisans et de l’autre côté de ce ravin, à cinq ou six cents mètres, s’avance une sorte de terrasse découverte à pente escarpée, que Hullin n’avait pas jugé nécessaire d’occuper provisoirement, ne voulant pas diviser ses forces, et voyant du reste qu’il