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Cayenne, entre l’Amazone et l’Oyapock, et au nord depuis le Kourou jusqu’au Maroni. La surface de ces plaines, légèrement et irrégulièrement ondulée, parsemée d’arbres nains et de rares bouquets de haute futaie qui en coupent la monotonie, affecte une pente générale fort douce vers les montagnes de l’intérieur, ce qui permet aux eaux courantes d’y vaguer en tout sens. Beaucoup de ces savanes, noyées sous ce trop-plein d’irrigation, forment des marécages d’un aspect particulier, dits pripris, qui peuvent recevoir et nourrir d’innombrables troupeaux de bœufs. L’herbe s’y améliore rapidement, comme dans toutes les prairies, quand elle est pacagée et surtout fauchée ; mais c’est de quoi on ne s’avise guère à Cayenne, où les chevaux de la gendarmerie ont souvent consommé du foin expédié de Bordeaux et revenant à 32 francs les 100 kilogr., par les mêmes causes sans doute qui ont fait longtemps préférer en Algérie le foin d’Italie et d’Angleterre, payé 15 ou 20 fr. le quintal, à celui du pays, qui n’eût coûté que moitié!

Par cette triple division du sol, la nature avait indiqué les voies à la colonisation, qui s’attaqua d’abord aux terres hautes, comme les plus salubres et les plus faciles à travailler. On pressent quelles déceptions suivirent ces premières entreprises : des défrichemens continuels, des terres rapidement épuisées, ne pouvaient procurer cette prompte et éclatante prospérité qu’on demande aux colonies. A la Guyane française, même à la Guyane hollandaise, tant que la culture se restreignit aux terres hautes, le pays ne fit que languir ; il ne connut de meilleurs jours que lorsqu’on aborda les terres basses, qui se montrèrent propices à la canne à sucre. Les colons néerlandais, préparés par l’éducation du pays natal aux travaux hydrauliques que ces terres demandent, en firent les premières applications à Surinam, et ce fut un de leurs ingénieurs, Suisse d’origine, nommé Guizan, qui introduisit le même art aux environs de Cayenne et dans le quartier d’Approuague. En engageant cet habile maître, Malouet, alors administrateur à la Guyane, rendit le plus éminent service à l’établissement français.

Dès lors s’introduisit une répartition des cultures, qu’il s’agissait de mettre en harmonie avec les aptitudes de chaque espèce de terrain : aux terres basses les plantations de canne à sucre, aux terres hautes les espèces arborescentes, et un peu partout les cultures vivrières, comme on dit aux colonies. La propriété rurale et la société tout entière se réglèrent d’après le même système : l’aristocratie du sol ou la grande propriété fit du sucre; la bourgeoisie ou la moyenne propriété récolta du rocou, du café, des épices, du coton; le menu peuple se procura des vivres dans les jardins que lui abandonnaient les maîtres, et plus tard sur des abatis de petite étendue, qui, après