Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui eût embrassé l’ensemble des intérêts et des populations dans un vaste mécanisme administratif. Malgré quelques efforts récens pour les rajeunir, nous restons quelque peu incrédule à l’égard de ces systèmes créés de toutes pièces, qui introduisent trop d’art et d’autorité dans le jeu des sociétés humaines; nous aimons à voir ces sociétés se développer naturellement et librement, non pas sans direction, mais sans contrainte. Tandis que la plupart des compagnies coloniales de l’Angleterre et de la Hollande ont prospéré au profit de leurs actionnaires et de leur patrie, pourquoi la plupart des compagnies françaises du même genre ont-elles échoué? Parce qu’au lieu de naître sur place et à leur heure, comme un fruit naturel de leur pays et de leur temps, elles ont été conçues a priori par des ministres et gouvernées à distance par des courtisans, des prélats, des financiers, des gentilshommes, qui n’y voyaient qu’une occasion de gain brillant et rapide. Ce n’était point, comme chez nos rivaux, l’agrégation réfléchie et logique d’individus qui rapprochaient leurs forces isolées; c’était l’alliance artificielle de spéculateurs qui unissaient leur impuissance. Au nom de ces souvenirs, nos vœux sont pour la compagnie de l’Approuague, agrandissant son action par des progrès annuels, dirigée par des chefs qui ont fait leurs preuves d’habileté, plutôt que pour une compagnie improvisée à neuf, qui viserait à racheter à l’amiable toutes les propriétés de la Guyane en vue d’enrôler dans ses rangs les anciens propriétaires comme actionnaires, administrateurs, gérans, employés, et les anciens esclaves comme ouvriers embrigadés. La première nous représente la croissance naturelle des êtres, telle que tous les jours elle s’accomplit sous nos yeux ; la seconde nous rappelle les créations improvisées qui ne se voient que dans les légendes, parce que leur succès suppose une dose merveilleuse de force, de génie et de vertu que la Providence accorde rarement à l’humanité.

Après les brillantes perspectives que l’or éveille dans les esprits, et qui font oublier le fer, que recèlent d’autres parties du territoire, l’humble industrie de la pêche maritime peut paraître d’un bien mince intérêt ; nous oserons pourtant la recommander comme l’une des mieux adaptées aux convenances d’une colonie que baigne une mer poissonneuse. Les matériaux des bâtimens à construire sont sous la main comme la proie elle-même. Il en naîtrait une vraie flottille de pêche et une race de pêcheurs qui de proche en proche poursuivraient de plus hardies et lointaines entreprises. La pêche en vue des salaisons fut le début de toute nation maritime, et doit être l’une des principales occupations de toute colonie riveraine de la mer : nulle ne fortifie mieux les âmes et les corps.