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UNE VIE
D’ÉMIGRÉ POLONAIS

JULIEN URSIN NIEMCEWICZ.

Vie de Julien Ursin Niemcewicz, par le prince Adam Czartoriski; 1 vol. Paris et Berlin 1861

C’est le jeu cruel de la politique et des révolutions de broyer en passant certaines nations et d’en disperser les membres palpitans, de les réduire à cette extrémité où elles n’ont plus rien d’intact que le cœur, toujours acharné à battre, et l’esprit, noblement obstiné à jouer avec le malheur; enfin de créer quelquefois deux peuples au sein d’un même peuple, — l’un fixé au sol, vivant d’une vie mystérieuse, refoulée et contrainte, — l’autre errant, proscrit, portant partout avec lui les idées, les sentimens et l’image de la patrie. Ce n’est rien encore lorsque l’exil est un supplice infligé par un parti à un autre parti dans les conflits intérieurs, car ces tristes victoires des partis sont éphémères; la proscription est une arme dangereuse que désavoue bientôt l’instinct national, et dans la mêlée des opinions la violence elle-même se lasse, la trêve est toujours possible. Il n’en est plus ainsi quand l’exil est la fatalité et comme le dernier refuge du patriotisme aux prises avec une domination étrangère. Alors, tant que dure cette domination, la lutte obscure ou éclatante est la condition inévitable, et elle se dénoue invariablement par des supplices ou par des expatriations nouvelles. Ainsi commencent ces exodes périodiques d’une race vaincue et démembrée. Les émigrations