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émouvante de ce que peut souffrir un esprit libre dans la solitude d’un cachot.

La Pologne, comme l’Italie, compte certes plus d’un chapitre de ce qu’on pourrait appeler la littérature des prisons et de l’exil. Le livre de Silvio Pellico est resté le type de ces tristes poèmes. Les Notes sur ma Captivité sont les Prisons de Niemcewicz. Un autre vaincu de Macieiowice, le général Kopeç, déporté au Kamtschatka, a laissé aussi des mémoires qui sont le récit de ses épreuves d’exilé et de prisonnier. C’est toujours la lutte de l’âme patriotique aux prises avec le malheur infligé par le maître étranger. Seulement, là où le patriote italien souffre, se résigne et pousse la mansuétude presque jusqu’à l’abdication, Kopeç, avec le même sentiment religieux, mais avec plus d’énergie, lutte et espère; Niemcewicz garde sa haine contre les Russes, sa sérénité dans l’épreuve. Il y a quelque chose de sain et de curieux dans cette ferme bonne humeur d’un homme en guerre avec la fortune et ne se laissant pas dompter. Il n’est point du tout larmoyant. Niemcewicz avait de cette vigueur d’âme qui s’enveloppe de gaieté et de grâce mondaine. Depuis qu’il est pris à Macieiowice, il ne cède pas un instant à l’intimidation. Vaincu, blessé et captif, il se sent supérieur aux Russes, et il se venge par une impitoyable ironie. Durant ce long voyage à Pétersbourg, il se moque du général Chruzczew, de son gardien Titov et de tous ceux qui le conduisent; il fait leur caricature. A son arrivée à la citadelle, il se moque même du ministre de l’intérieur, Samoïlov, grand personnage en habit de cour et tout chamarré de décorations, devant lequel il comparaît avec sa pelisse de peau de loup, son bras en écharpe et ses cheveux en désordre. « Je suis fâché, monsieur, lui dit-il d’un ton narquois, de paraître devant vous dans un costume aussi peu convenable. » Une fois dans la prison, on cherche à lui arracher des révélations. On l’interroge, on le presse, on le menace. « Je n’ai point de révélations à vous faire, dit-il à Samoïlov, et je n’ai point le talent de vous fabriquer des contes. Quant à vos menaces, je sais que je suis entre vos mains; je m’attends et je suis résigné à tout, je désire la mort plus que je ne la crains... En entrant dans ce cachot, j’ai laissé l’espérance derrière moi. »

Alors commençait cette vie de solitude mortelle à laquelle Niemcewicz n’échappait qu’en lisant, — car on laissait pénétrer jusqu’à lui quelques livres, — en essayant de faire passer dans la langue polonaise l’harmonieuse douceur de Racine ou l’élégante correction de Pope. Sentant le besoin de l’exercice, il avait imaginé un moyen singulier : avec les cheveux qui tombaient de sa tête et les poils de sa barbe, il avait fait une balle, et il jouait une heure tous les matins.