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tous répondaient que l’on avait envoyé aux nouvelles du côté des Anglais et des Prussiens, que l’on ne pouvait marcher à l’aveugle, que le maréchal Ney avait ajouté à toutes ses fautes de ne pas envoyer de dépêches (ce qui était inexact). On n’avait pas reconnu à Saint-Amand la vigueur ordinaire de Vandamme ; son impatience était du mécontentement. D’ailleurs, sitôt que les reconnaissances donneront quelque nouvelle, la décision du chef se fera connaître. On pouvait être sûr qu’elle ne tarderait pas.

Voilà comme on trompait les heures dans les bivacs de Saint-Amand, de Ligny. Cette sourde inquiétude des esprits dans une armée si passionnée, si raisonneuse, n’était pas le moindre inconvénient d’une si longue inaction.

Cependant l’ennemi n’avait éprouvé aucune de ces tergiversations. Dans le même temps que Napoléon était en proie à ces incertitudes, le maréchal Blücher, à peine relevé de cheval, avait ouvert la journée du 17 par cet ordre du jour à son armée : « Je vous conduirai immédiatement à l’ennemi ; nous le battrons, car c’est là notre devoir, » et il marchait à ce rendez-vous. Vers dix heures du matin, Ziethen et Pirch, par Vilroux et Mont-Saint-Guibert, avaient atteint Wavre. Thielmann avait été rejoint à Gembloux par Bulow, qui arrivait de Liége, n’ayant pris aucune part à la bataille de Ligny. Son corps était de 30,000 hommes. Il faisait plus que combler les vides de l’armée prussienne, qui maintenant, toute rassemblée, impatiente de venger sa défaite, allait concentrer à Wavre une masse de 90,000 combattans. C’étaient 10,000 de plus qu’à la bataille de Ligny.

À quel moment Napoléon s’est-il enfin décidé à faire poursuivre cette armée par une masse considérable de ses troupes ? Rien n’importe plus que ce détail. Si l’on s’en tient à la relation dictée par lui à Sainte-Hélène, il faut vraiment admirer l’art avec lequel il a dissimulé dans le récit le moment de la journée où il a chargé le maréchal Grouchy de la mission qui a rendu son nom tristement immortel. Dans les lignes qui précèdent, c’est à la pointe du jour que le général Pajol s’est mis en marche, c’est à la pointe du jour que le maréchal Ney a reçu son ordre ; puis tout à coup viennent ces mots qui frappent pour la première fois l’attention : « Le maréchal Grouchy partit avec le corps de cavalerie d’Exelmans et le 3e et le 4e corps d’infanterie pour appuyer le général Pajol et suivre Blücher l’épée dans les reins. » Qui ne croirait, d’après l’habile contexture de ce récit, que le maréchal Grouchy a reçu son commandement et qu’il est parti presque à la pointe du jour, ou du moins à six ou sept heures du matin, puisqu’il appuie le général Pajol, lequel est bien réellement parti dans les premières heures du jour avec une division de cavalerie légère et la division d’infanterie