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De son côté, le maréchal Ney était dans la même ignorance que le duc de Wellington. Il envoya à l’empereur le général Flahaut, resté avec lui depuis la veille. Il demandait avec instance des nouvelles de la bataille. Cette réponse arriva, elle semble incroyable. « Je crois cependant, écrit le major-général Soult, vous avoir prévenu de la victoire que l’empereur a remportée. » Ainsi l’on ne se rappelle pas à l’état-major général si l’on a donné avis à l’aile gauche de la victoire de l’aile droite !

Tant que dura cette incertitude sur ce qui s’était passé à Ligny, le maréchal Ney laissa ses troupes sous les armes, immobiles, sur les hauteurs de Frasnes, et véritablement pouvait-il faire autre chose ? Si Napoléon, comme il était probable, avait gagné la bataille, quelle raison y avait-il pour Ney d’attaquer seul l’armée anglaise, tout entière en ligne ? Il n’y avait aucun avantage à se commettre seul avec elle. Plus cette armée s’arrêtait aux Quatre-Bras, plus elle courait risque d’être détruite par la double attaque de l’empereur et de Ney. Au contraire, si la bataille de Ligny avait été perdue, et si l’aile droite française se retirait, fallait-il que la gauche courût à une destruction certaine en se plaçant aveuglément, dès la pointe du jour, au milieu de 200,000 ennemis victorieux ? Ce sont là les motifs par lesquels s’explique l’inaction du maréchal Ney dans la matinée du 17.

Enfin les premières colonnes de Napoléon parurent, mais seulement à deux heures. Elles auraient pu facilement être rendues de Ligny aux Quatre-Bras à sept heures du matin, et c’est là encore une occasion où les relations de Sainte-Hélène, courant au-devant des reproches, pour empêcher que Napoléon ne fut accusé de cette nouvelle perte de six heures, se hâtent d’en accuser le maréchal Ney. Comme si ce n’était pas au corps le plus éloigné à se mettre le premier en marche, pendant que celui qui était aux Quatre-Bras était réduit à attendre ! Mais le temps passé à Ligny en parades inaccoutumées se faisait cruellement regretter ; la faute devenait flagrante, il fallait la rejeter sur un autre. Ney fut encore une fois chargé de ce fardeau. On l’accusa le 17, comme on avait fait le 15 et le 16. Napoléon pourtant était le premier moteur, c’était de lui que partait l’impulsion ; la lenteur de ses mouvemens engendrait la lenteur de ses lieutenans. Voilà ce qu’il n’a jamais voulu reconnaître.

Le duc de Wellington donne l’ordre de se replier sur Waterloo. Pendant que ses troupes défilent autour de lui, il se couche sur la terre, le visage couvert de ses dépêches, et semble dormir. L’infanterie se retire de onze heures à onze heures et demie. Ce mouvement est masqué par la cavalerie, qui reste immobile sur deux lignes étendues, parallèles à la route de Namur. À l’approche des