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troupes de Napoléon, ces deux grands rideaux se replient en trois colonnes sur la route de Bruxelles. Elles sont suivies de près et harcelées par la cavalerie légère du général Subervie. La journée était brûlante, le ciel pesant. Une de ces pluies diluviennes, fréquentes dans les étés de Belgique, vint à tomber. En quelques momens, les grasses terres que l’on traversait furent changées en marécages. Les chevaux s’abattaient sur les genoux ; à chaque pas, la poursuite devenait plus difficile. D’ailleurs ce n’était pas la retraite d’une armée ébranlée qui refuse le combat, c’était le mouvement d’une armée qui va de sang-froid chercher son champ de bataille, depuis longtemps étudié et préparé.

La cavalerie française s’acharnait sur ses pas des deux côtés de la route, les lanciers de Subervie en tête, les cuirassiers de Milhaud sur les flancs. Les fantassins avaient peine à avancer, et pourtant ils firent le double du chemin de Grouchy ce jour-là, sans doute parce qu’ils marchaient sur une route pavée, mais aussi parce qu’ils savaient clairement où ils allaient.

Au passage du défilé à Génappes, l’arrière-garde anglaise, serrée de près, se retourne. Lord Uxbridge déploie sur le plateau, en travers de la route, la grosse cavalerie de Sommerset et de Ponsonby. Les nôtres débouchent de la longue rue étroite et serpentante de Génappes ; ils rencontrent ce mur de cavaliers. Le 2e régiment de lanciers était en tête, il opposa une forêt impénétrable de lances au 7e de hussards anglais et au 1er des gardes. Le colonel Sourd acquit dans cette mêlée une renommée populaire par un exemple peut-être unique de vigueur : blessé et amputé du bras droit, il remonte une heure après à cheval et continue de conduire la charge. Une batterie française mit fin à ce combat de cavalerie. Depuis ce moment jusqu’à l’entrée du champ de bataille de Waterloo, l’armée française sembla plutôt escorter que poursuivre l’armée anglaise : on cessa de la harceler, comme il arrive à l’approche du moment décisif ; mais, en atteignant la Belle-Alliance, Napoléon voulut s’assurer si c’était là le terrain choisi par l’ennemi. Les cuirassiers de Milhaud se forment comme pour charger, quatre batteries d’artillerie légère ouvrent le feu. Les Anglais y répondent par cinquante ou soixante pièces de canon. Ils s’arrêtent : c’était la position de Waterloo.

Il était six heures du soir ; le temps manquait pour attaquer cette armée. Napoléon a dit qu’il eût voulu avoir ce soir-là le pouvoir de Josué, pour arrêter de deux heures le cours du soleil. Ce pouvoir, il l’avait eu le matin, dans les champs de Ligny ; maintenant il était trop tard pour regretter de n’en avoir pas fait usage.

Dans cette soirée, le duc de Wellington reçoit la réponse de Blü-