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toujours incertain, Napoléon pèse, discute tour à tour ces opinions. Il s’enferme avec ses conseillers et les retient suivant que leur avis lui semble préférable ; puis tout à coup il en ouvre lui-même un nouveau, et alors il semble qu’il ne veuille rien que tromper les heures et donner une pâture d’un moment à son imagination et à celle des autres. En ces instans-là, il se voit déjà par-delà l’Atlantique, en Amérique, cultivant ses troupeaux comme le premier homme, cherchant, trouvant enfin la paix au Mexique, à Caracas, en Californie, car il s’attache à tous ces noms ; mais, bientôt réveillé de cette aventure, il revient au projet tout réel de se jeter dans les bras des soldats. On le contredit alors ; il se rend au premier mot. « Allons ! je vois bien qu’il faut toujours céder, » ajoute-t-il, comme si chacun de ses projets n’était qu’une imagination vaine. Ce maître du monde est a ce moment plus faible qu’un roseau ; le moindre souffle le pousse en des sens opposés.

D’autres fois cette lamentable incertitude lui pèse ; il s’interrompt. il écoute, il demande si le peuple, l’armée ne s’émeuvent pas pour lui. Les soldats ne viendront-ils pas l’arracher à son inertie, qui est déjà un commencement de captivité ? On l’entend s’écrier : « Comment Paris ne me demande-t-il pas ? » Il tressaille au bruit lointain des armes. Quelques détachemens qui passent sur la grand’route font encore çà et là retentir l’air de leurs acclamations ; mais ils ne se détournent pas, ces corps, vers la demeure de Napoléon : il attend des autres un élan, une impulsion que l’on est accoutumé à recevoir de lui ! S’il se montrait seulement, s’il agissait, qui sait ce que sa présence seule pourrait encore produire sur les hommes ? Mais, renfermé, invisible dans les murs de cette maison écartée, il espère vainement que la multitude prendra pour lui la résolution à laquelle il ne peut ni s’arrêter ni renoncer. En voyant un tel homme réduit à l’inaction, tous crurent qu’agir était devenu impossible. L’inertie dont il donnait l’exemple gagna promptement les plus déterminés. Tous l’appelèrent comme lui résignation. En effet, qui pouvait croire encore à sa bonne fortune, quand lui-même avait cessé d’y croire ?

À ce long supplice de l’attente, l’outrage manquait encore. On annonce que le général Bekker arrive, chargé d’arrêter Napoléon au nom du gouvernement provisoire. On se trompait. Le général Bekker n’était chargé que de le surveiller, sous le prétexte de garantir sa sûreté. Par quelques mots, Napoléon subjugue son gardien, et il en fait son mandataire auprès du gouvernement. Sur les nouvelles que le général apporte de la position des ennemis, Napoléon a conçu l’idée de punir Blücher de sa marche téméraire en avant des Anglais. Il propose de déboucher par Saint-Denis ; il s’engage à battre isolément les Prussiens avant que leurs alliés puissent se trouver en ligne. C’est là sa dernière conception militaire. Qu’on la