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pas vaincu à Dresde par une pluie battante, à Eylau malgré la neige qui aveuglait son armée ? À Iéna, en octobre, n’a-t-il pas commencé la bataille avant le jour, au milieu d’un brouillard impénétrable où il se faisait éclairer à la lueur des torches ? Si la pluie doit éteindre les feux de l’infanterie, comme à la journée de la Katzbach, ce sera à l’avantage de l’assaillant et de l’arme blanche. D’ailleurs à ce moment même le corps de Reille, parti de Génappes dans la nuit, vient d’arriver. Il se forme le premier sur le champ de bataille, sans consulter l’état du terrain. Ce que ce corps a fait après avoir marché trois heures, les autres peuvent le faire plus aisément. Dans tous les cas, la nécessité commande ; il n’y a plus à délibérer. Une seule chance reste : il dépend de Napoléon de la saisir. Pour cela, les troupes sortiront de leurs bivacs dès qu’il fera grand jour ; il attaquera à sept heures, ou au moins à huit heures du matin.

Mais au contraire, trompé par une fausse confiance, aveuglé pour la première fois et jusqu’au dernier moment, s’il croit n’avoir pas besoin de compter avec le temps, si, après avoir perdu la matinée du 16, du 17, il perd encore celle du 18, s’il croit pouvoir attendre que le soleil disperse les nuages, que la pluie s’éloigne, que la terre soit séchée, qu’aucun obstacle ne l’empêche de vaincre, ce pourra être le dernier délai qui lui sera accordé. De ces deux chances qui se présentent encore à Napoléon, voyons laquelle il va choisir.


XI. — ORDRE DE BATAILLE DES DEUX ARMÉES. — PLAN DE NAPOLÉON.

Avec la nuit s’est dissipée la dernière inquiétude de voir les Anglais refuser le combat. Les premiers rayons du jour, le 18 juin, les montrent immobiles dans leur position de la veille. Napoléon en éprouve une vive joie. Il promène de nouveau ses regards sur le champ de bataille. En découvrant sur sa droite, à l’est, en pleine lumière, ce terrain découpé, ravineux, montueux, boisé, il ne soupçonna pas plus que la veille qu’un péril pût être caché dans ces étroits défilés qui de ce côté fermaient l’horizon. Cependant vers dix heures un régiment de hussards prussiens, sous le major Lutzow, s’approchait déjà en silence de la lisière du bois de Frichermont. Ils remplacèrent les avant-postes anglais sans rencontrer un seul homme pour les inquiéter ou les surveiller. Ils étaient là à une portée de canon de l’armée française, et l’idée qu’il y eût quelque chose à craindre des Prussiens n’entrait encore dans l’esprit de personne. Si une seule brigade de cavalerie eût été envoyée pour éclairer cette direction, elle aurait bientôt immanquablement révélé la présence du corps de Bulow, car son avant-garde à ce même moment gravissait déjà les rampes opposées des hauteurs de Saint-Lambert ; mais ce fut la même sécurité chez les nôtres que le soir précédent.