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Napoléon, certain du succès, ne fit pas même reconnaître cet ennemi qui était déjà caché sur ses flancs, tant il dédaignait ceux qui devaient lui porter le dernier coup ! Il semblait alors, non pas seulement les mépriser, mais les oublier.

Un peu auparavant, pendant que l’empereur déjeunait, le maréchal Ney était accouru ; il vient de parcourir les avant-postes ; il annonce, dès le seuil, que l’occasion a échappé, que les Anglais se retirent. Si l’on tarde un seul instant, ils vont se dérober, et la forêt de Soignes les couvrira bientôt. Napoléon ne partage ni cette crainte ni cette impatience ; il a mieux vu que son lieutenant, il lui répond qu’il est maintenant trop tard pour les Anglais et qu’il ne leur reste qu’à livrer bataille. En cela, il ne se trompait pas : mais comme si en ce moment ses lumières mêmes devaient servir à l’aveugler, il trouva dans cette certitude une raison de temporiser encore. On remarqua qu’il se plut à préciser mathématiquement devant ceux qui l’entendaient les chances de la journée. Elles étaient, suivant lui, de quatre-vingt-dix sur cent pour la victoire ; il n’y en avait pas dix contre : encore est-il certain que dans ces dix chances contraires il ne fit entrer pour rien l’intervention des Prussiens sur le champ de bataille. C’est à peine s’il devait y croire lorsqu’il la verrait de ses yeux.

La confiance de l’armée n’était pas moindre que celle du chef. Soixante-dix mille Français conduits par Napoléon et par Ney se sentaient une supériorité certaine sur 80,000 ennemis, dont 40,000 seulement étaient de vieilles troupes et le reste formé en partie de landwehrs. Jamais on n’avait été plus sûr de vaincre, et c’est là sans nul doute (bien plus que le mauvais temps) ce qui fit encore une fois différer la bataille ; car il y eut dans cette matinée deux ordres du jour de Napoléon très différens l’un de l’autre. D’après le premier, l’armée sera prête à attaquer à neuf heures du matin, et chacun sera à ce moment précis dans la position indiquée la veille au soir. Un second ordre du jour, distribué un peu plus tard aux chefs de corps, éloigne de beaucoup le moment de l’action ; celui-ci prescrit que l’armée soit rangée en bataille à peu près à une heure après midi, et l’attaque commencera aussitôt. Entre ces deux ordres d’attaque, il y a une différence de quatre heures, et la cause en est la sécurité complète qui s’était emparée des esprits après que les Anglais n’avaient fait aucun effort pour échapper au combat. Du reste, ni l’une ni l’autre de ces instructions ne fut exécutée à la lettre ; probablement elles furent remplacées toutes deux par des ordres donnés de vive voix.

On chercha longtemps quelque habitant du pays pour servir de guide à Napoléon. Un paysan qui s’était enfui comme tous les autres dans les bois revint le matin à Planchenoit ; il se rendait à l’église.