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de ses anses. C’est tristement laid ; mais il semble que la nature ait compté là sur l’industrie humaine pour compléter son œuvre. Le fond, situé à sept mètres au-dessous du niveau des mers, parait appeler leurs eaux. Un jour les vaisseaux circuleront sur ce grand lac, aujourd’hui vide et desséché. Ils viendront s’amarrer près de la colline d’Elgar.

Un coup de vent nous força de descendre. Bientôt nous fûmes pris par une bourrasque telle que le sol et l’atmosphère parurent se mêler. Nos traces précédentes étaient effacées. Plus de direction ! Le Parisien y perdit son latin. Heureusement le docteur avait remarqué un chameau mort et infect dans les environs de Chek-Ennedek. Nous nous guidâmes par l’odorat, comme les sauvages, et regagnâmes le camp sans trop de difficultés. Le bon Mourad-Bey était inquiet. « Quelques instans de plus, nous dit-il, j’allais faire faire une battue par les chameliers. » Nous nous mîmes à rire, mais lui ne riait pas. Il nous conta fort sérieusement l’histoire de trente Bédouins, qui, repoussés après l’attaque d’une caravane, s’enfuirent par les bords du lac et disparurent dans une fondrière.

Le 14 mars, nous dîmes adieu à la colonie française et à M. Cazeaux. Nos chefs surtout s’éloignèrent avec regret. Bannis dès leur enfance, ils avaient ressenti la joie et la consolation de toucher un sol où leur patrie semblait s’être transportée, et avaient respiré au milieu de leurs courageux compatriotes comme un parfum de la France. Nous marchâmes tout le jour dans une immense plaine coupée soit par des buissons, soit par des monticules. Les grandes lignes du désert allaient se perdre dans le brouillard au pied des monts Genef, que l’on distinguait par éclaircies. Au seuil du Serapéum, point culminant entre le bassin de l’isthme et le lac Timsah, nous vîmes de nouveau une maisonnette de la compagnie. Après la descente vers le bassin de l’isthme, on fit halte pour le déjeuner, qui fut établi tant bien que mal en rase campagne ; les dernières rafales du kamsin balayaient encore la plaine. Sous le ciel pâle et brumeux, la contrée paraissait blanche, et les bourrasques de sable ressemblaient à des tourmentes de neige ; c’était la Sibérie à la température près. Le vent, frappant la surface des Lacs-Amers au fond du bassin de l’isthme, se chargea lui-même de mettre du sel dans nos assiettes ; le repas fut compromis malgré les efforts de Ferdinand et des domestiques turcs, qui, animés par Mourad-Bey, luttaient contre les élémens. Nous prîmes en riant les mauvaises plaisanteries du désert et achevâmes avec patience ce que nous appelions notre « déjeuner sur l’herbe. »

Lorsque le vent s’apaisa, nous voyagions dans les lacs sur une croûte de sel. Ces fonds sont couverts de cristaux ou de bancs de coquilles brisées laissées par le retrait de la mer. On choisit pour