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produites par quelque tremblement de terre, se montraient béantes, et les arêtes de ces déchirures, enflammées par les derniers feux du jour, tranchaient sur les ombres, grands fantômes noirs qui se mouvaient avec le jeu de la lumière. Les teintes les plus ardentes de l’Orient éclairaient l’ensemble de cette horreur sublime. Le Sinaï était devant nous. Le lendemain, nous en gravissions les pentes, laissant à droite le massif du Serbal, sombre géant rival du Sinaï, dont il paraît garder les approches. Chose singulière, à mesure qu’on s’élève, la désolation diminue sans que la nature perde rien de sa sévère grandeur. Les pleurs des rochers forment de petits bassins d’une eau excellente. Je cueillis à mes pieds des phlox, des violettes, des pâquerettes, des ne m’oubliez pas. Nos bêtes se jetaient sur quelques touffes de fraîche verdure, friandise dont elles étaient privées depuis l’Égypte. Au sommet, l’aridité reprend son empire.

Par le col sauvage de Nukb-Hawy, nous atteignons l’Ouad-er-Rahah. C’est là que les Israélites étaient campés pendant que Moïse, au sommet de l’Horeb, recevait la parole de Dieu. Le plateau est encaissé entre les rameaux de la montagne ; ils semblent s’écarter par respect à son extrémité, et laissent isolé un sommet qui s’élève comme une tribune. Quelques archéologues, argumentant de ce que ce pic est vu de toutes parts dans l’Ouad-er-Rahah, remplie par le peuple d’Israël, l’ont désigné comme l’Horeb, tandis que la tradition et les Arabes lui donnent le nom de Sufsafa. De là Moïse a pu voir les Hébreux prosternés devant le veau d’or ; mais ce qu’on appelle généralement l’Horeb, la montagne de Moïse des indigènes, est caché par le Sufsafa. Au pied de l’Horeb se trouve le couvent du Sinaï. Dès que notre caravane fut en vue, les moines saluèrent l’arrivée des princes d’une salve de leurs petits canons ; puis nous vîmes sortir des murs une procession de ces religieux : ils appartiennent à la communion grecque. Leur costume, assez pittoresque, se compose d’une longue robe noire, maintenue à la taille par une ceinture ; leur chapeau cylindrique, évasé au sommet, est recouvert d’un voile noir qui pend sur les épaules ; leur visage, orné d’une barbe majestueuse, est en général d’un assez beau type grec ; il a quelque ressemblance avec les portraits de saint Basile ou de saint Jean Chrysostome. Les religieux venaient se mettre à la disposition de nos chefs pour les guider dans le pays. Un rendez-vous leur ayant été donné chez eux pour le lendemain, nous dressâmes nos tentes, dont le pied fut enterré soigneusement dans le sol pour nous garantir du froid, très vif à ces hauteurs. Le point où nous étions campés est à cinq mille pieds au-dessus du niveau de la Mer-Rouge, l’Horeb à sept mille cinq cents, le pic de Sainte-Catherine, le plus haut du massif, à huit mille.