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les Anglais ne pourront se replier sur les Prussiens ; ils seront même coupés de la route de Bruxelles ; il ne leur restera que les défilés de Braine, et au loin l’Escaut, puis la mer, où l’on achèvera de les précipiter. Napoléon se retrouve tout entier dans ce plan de bataille. Pourquoi, après avoir été essayé dans la première phase de la bataille, a-t-il été si vite abandonné ? C’est ce que la suite des événemens ne tardera pas à montrer.

Tandis que Napoléon donnait ses dernières instructions à ses lieutenans, l’armée française se formait sous ses yeux. Dans la relation de Sainte-Hélène, il marque la position d’attente non-seulement de chaque corps, mais de chaque division, de chaque brigade, avec un soin de détail qu’il n’a mis dans aucun autre de ses récits. On dirait qu’en décrivant aussi minutieusement la place de chacun avant la bataille, il a voulu pour tous prolonger ces momens d’espérance, faire défiler devant lui son armée encore intacte, et en passer une dernière fois la revue.

Les troupes se formaient en effet, comme pour une revue, sur un front de 4,000 mètres, entre les hauteurs de Frichermont, la route de Charleroi et celle de Nivelles. Onze colonnes se mirent à la fois en marche pour aller prendre leur position. Pendant qu’elles défilaient toutes ensemble sur le sommet des collines, elles se déroulaient comme d’énormes serpens revêtus d’éblouissantes écailles ; mais de ce chaos apparent l’ordre ne tarda pas à sortir : l’immobilité remplaça le mouvement, un silence solennel se fit sur le champ de bataille. L’ennemi put contempler à loisir cet ordre nouveau qui ressemblait à une fête militaire.

Les deux premières lignes, à trente toises l’une de l’autre, étaient formées de l’infanterie de Ney. C’était d’abord, sur la droite, le corps du général d’Erlon, qui n’avait pas encore eu de rencontre avec l’ennemi. Il était rangé par inversion, sans doute par suite des contre-marches[1] de la journée des Quatre-Bras ; sa quatrième division était en tête, en face de Smohain, sa première à gauche, appuyée à la chaussée de Charleroi. Ce corps fut prolongé par celui de Reille, aussi sur deux lignes, depuis les hauteurs de la Belle-Alliance jusqu’à la chaussée de Nivelles, Bachelu à droite, Foy au centre, Jérôme à gauche. Les deux corps de cavalerie de Jaquinot et de Piré s’étendirent sur trois lignes, au loin, sur les deux ailes, l’un observant Frichermont et jetant des postes sur Ohain, l’autre éclairant la plaine jusqu’à Braine-la-Leud. C’étaient là les lignes qui allaient aborder les positions ennemies.

  1. Je ne vois pas d’autres raisons à donner de cette formation et de ce chaos, qu’avait déjà remarqués le général Jomini. Précis, p. 204.