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XIX.

Au fond de la vallée des Bouleaux, à deux portées de fusil du village des Charmes, sur la gauche, la petite troupe se mit à gravir lentement le sentier du vieux burg. Hullin, se rappelant qu’il avait suivi le même chemin lorsqu’il était allé acheter de la poudre à Marc Divès, ne put se défendre d’une tristesse profonde. Alors, malgré son voyage à Phalsbourg, malgré le spectacle des blessés de Hanau et de Leipzig, malgré le récit du vieux sergent, il ne désespérait de rien, il conservait toute son énergie, il ne doutait pas du succès de la défense. Maintenant tout était perdu ; l’ennemi descendait en Lorraine, les montagnards fuyaient. Marc Divès côtoyait le mur dans la neige. Son grand cheval, accoutumé sans doute à ce voyage, hennissait, levant la tête et l’abaissant sous le poitrail par brusques saccades. Le contrebandier se retournait de temps en temps pour jeter un coup d’œil sur le plateau du Bois-de-Chênes en face. Tout à coup il s’écria : — Hé ! voici les Cosaques qui se montrent !

À cette exclamation, toute la troupe fit halte pour regarder. On était déjà bien haut sur la montagne, au-dessus du village et même de la ferme du Bois-de-Chênes. Le jour gris de l’hiver dispersait les vapeurs matinales, et dans les replis de la côte on découvrait la silhouette noire de plusieurs hulans, le nez en l’air, le pistolet levé, s’approchant au petit pas de la vieille métairie. Ils étaient espacés en tirailleurs, et semblaient craindre une surprise. Quelques instans après, on en vit poindre d’autres, remontant de la vallée des Houx, puis d’autres encore, et tous dans la même attitude, debout sur leurs étriers pour voir de loin, comme des gens qui vont à la découverte. Les premiers, ayant dépassé la ferme et n’observant rien de menaçant, agitèrent leurs lances et firent demi-tour. Tous les autres accoururent alors ventre à terre, comme les corbeaux qui suivent à tire-d’aile celui d’entre eux qui s’élève, supposant qu’il vient d’apercevoir une proie. En quelques secondes, la ferme fut entourée, la porte ouverte. Deux minutes plus tard, les vitres volaient en éclats ; les meubles, les paillasses, le linge, tombaient par les fenêtres de tous les côtés à la fois. Catherine, son nez crochu recourbé sur la lèvre, regardait tout ce ravage d’un air calme. Longtemps elle ne dit rien ; mais, voyant tout à coup Yégof, qu’elle n’avait pas aperçu jusqu’alors, frapper Duchêne du manche de sa lance et le pousser hors de la ferme, elle ne put retenir un cri d’indignation.

— Allons, Catherine, cria Jean-Claude, en voilà bien assez.

— Vous avez raison, dit la vieille fermière ; partons ; je serais capable de descendre pour me venger toute seule.