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ni ignorées ? Cela tient à des causes profondes, dont il suffit d’indiquer les deux principales.

Et d’abord, pour supprimer la jachère, il faudrait, au début de la rotation nouvelle, commencer par acheter une certaine quantité d’engrais ; en outre, pour consommer utilement les récoltes vertes, il serait indispensable de tripler au moins le nombre des bêtes à cornes et des moutons, ce qui revient à dire qu’il serait nécessaire d’augmenter notablement le capital d’exploitation, et qu’au lieu de se contenter de 20,000 francs pour faire valoir 100 hectares, il conviendrait d’y consacrer le double. Or la plupart des fermes du Condroz, exploitées jusqu’à ce jour par la culture extensive, comprennent une assez vaste superficie, et exigeraient par conséquent l’emploi d’un grand capital, si l’on voulait y introduire la culture intensive ; mais avec le revenu de cette somme un fils de fermier pourvoit largement à ses modestes besoins, et dès lors, plutôt que de l’aventurer dans une entreprise qui offre toujours quelques mauvaises chances, il préférera vivre de ses rentes. L’idée de considérer l’exploitation d’une ferme comme une opération industrielle où l’on engage un grand capital pour faire promptement de gros bénéfices, cette idée, déjà si répandue en Angleterre, n’est pas près de pénétrer ici. On ne cultive la terre que par tradition de famille, et dès lors on cultive à la façon des aïeux. C’est par routine qu’on devient agriculteur, c’est la routine aussi qui détermine les procédés qu’on emploie, et celui qui exposerait 60 ou 70,000 francs pour introduire une méthode plus perfectionnée serait considéré comme un homme qui gaspille son patrimoine. Tandis qu’en Angleterre la grande étendue d’une ferme est précisément ce qui attire un cultivateur riche et entreprenant, parce qu’il y trouve un théâtre plus digne de son activité et le moyen de conduire ses opérations sur une plus vaste échelle, dans le Condroz cette étendue empêche qu’on y applique le capital indispensable pour la cultiver convenablement. C’est ainsi que par suite d’idées et de mœurs différentes la grande culture, qui dans certains pays favorise le progrès agricole, l’entrave dans d’autres. Aussitôt qu’on divise une ferme dans le Condroz, la terre est mieux cultivée, et le nombre des têtes de bétail augmente. Les petits propriétaires qui exploitent eux-mêmes 2 ou 3 hectares ne connaissent point la jachère : les cultures sont plus variées, plus soignées, et la production est beaucoup plus grande ; ils récoltent des betteraves, du colza, des navets ; l’épeautre et l’avoine s’élèvent plus haut et portent plus de grains. Entre l’aspect que présentent leurs terres et celles de la Hesbaye, on ne remarque nulle différence. Ainsi donc, dans l’état actuel des mœurs et des idées des populations rurales, la trop grande étendue des