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qui, par ses relèvemens, borne du côté du sud-ouest la grande plaine de l’Europe septentrionale. Les terrains qui constituent cette région appartiennent à la subdivision la plus ancienne des formations primaires. C’est un des premiers îlots émergés de l’océan primordial aux époques les plus reculées des temps géologiques. Le sol est presque partout composé d’un schiste argileux dont les feuillets, plus ou moins minces, apparaissent souvent à nu dans les sentiers ou au penchant des collines. On ne rencontre pas ici ces fiers redressemens de roches calcaires ou granitiques qui donnent aux paysages des Alpes leur sublime grandeur, et qui protègent en même temps les vallées qu’ils couronnent. Partout les crêtes forment de hauts plateaux légèrement bombés, de larges intumescences soulevées quand la croûte de la terre, à peine solidifiée, se gonflait encore sans se fracasser sous l’action des forces centrales. Parfois ces plateaux sont couverts de forêts de chênes et de bouleaux ; mais ailleurs s’ouvrent de vastes espaces déserts que de maigres plantes revêtent d’une couleur sombre, en harmonie avec les teintes noirâtres du sol où elles végètent. Souvent, aux points les plus élevés, les eaux, retenues par la pâte imperméable des schistes désagrégés, donnent naissance à des marais, à des tourbières que dans le pays on appelle hautes fanges. Il faut se transporter de l’autre côté du Rhin, dans le Sauerland, pour trouver, avec la même constitution géologique, des aspects semblables et un sol aussi rebelle à la culture. Rien n’égale la tristesse morne de ces horizons sévères. C’est la nudité des steppes avec la solitude et le silence des hauts lieux. De ces croupes schisteuses ruissellent les eaux qui descendent vers la plaine en suivant le fond de ravins abrupts hérissés de roches et de broussailles. Quoique les points les plus élevés n’atteignent nulle part 700 mètres au-dessus du niveau de la mer, le climat est d’une âpreté extrême. L’hiver, les vents du nord-est, qui, soufflant du pôle, atteignent directement ce promontoire avancé de l’Europe moyenne, y accumulent des quantités considérables de neige. On estime qu’il en tombe, année moyenne, une épaisseur de plus de 2 mètres et demi. Pendant deux ou trois mois, cette neige couvre tout le haut pays, au point que le voyageur ne trouve son chemin qu’en suivant les poteaux indicateurs élevés le long des routes. Le printemps est humide et rude encore ; l’été même, quoique chaud, voit parfois le thermomètre tomber au-dessous du point de congélation[1]. Les conditions atmosphériques sont, on le voit,

  1. Néanmoins, comme l’été compte ici plus de jours sereins que dans l’ouest du pays, les lieux bien abrités jouissent d’une température assez élevée pour mûrir tous les fruits. C’est ainsi qu’à l’entrée même de i’Ardenne, au château de Bornai, on récolte un vin qui ne manque ni de bouquet ni de saveur dans les bonnes années.