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les dix, douze ou quinze ans par le procédé de l’essartage, et qu’on appelle sarts. Les premières s’étendent d’ordinaire aux environs des villages et autour des fermes, les autres se trouvent sur les hauteurs ou à une grande distance des habitations. Voici en quoi consiste l’essartage : on coupe en larges mottes toute la superficie des landes, qui, recouverte de plantes et remplie de racines, forme une espèce de tourbe maigre et légère. On expose ces mottes au soleil afin de les rendre plus inflammables, puis on les dispose en tas auxquels on met le feu. Les cendres éparpillées donnent un engrais qui permet d’obtenir deux ou trois récoltes de seigle et d’avoine sans avoir recours au fumier. On abandonne ensuite la terre à elle-même pendant un temps assez long pour que la couche végétale puisse se reformer complètement, et alors on l’essarte de nouveau. Souvent au milieu d’une vaste lande, loin de toute habitation, on rencontre un champ couvert de moissons semblables, pour employer la comparaison locale, à un mouchoir perdu sur la montagne : c’est un sart mis en culture. Les produits obtenus ainsi, quoique très minimes, forment néanmoins une ressource précieuse pour le cultivateur, qu’ils mettent à même d’augmenter la quantité de son bétail et de mieux engraisser ses terres ordinaires. Ce procédé, tout grossier qu’il paraisse, peut néanmoins devenir, comme on le voit depuis quelques années, la base de la mise en valeur définitive des bruyères et le point de départ d’une rotation régulière de récoltes, interrompues seulement par la jachère triennale. Quant aux terres à champs, l’examen de la succession des récoltes qu’elles portent montre mieux encore l’infériorité relative de l’agriculture ardennaise.

On a vu que, dans la région sablonneuse de l’ouest, la terre donnait souvent deux récoltes par an : dans la Belgique centrale, elle n’en livre plus qu’une ; dans le Condroz, elle reste en jachère une fois tous les trois ou quatre ans ; en Ardenne, après avoir produit pendant trois années consécutives, elle se reposera six ou sept ans, même plus longtemps encore. À mesure qu’on s’élève sur les plateaux de la partie orientale de la Belgique, on s’éloigne ainsi par degrés du point où le sol, semblable à une machine dirigée par un industriel actif, est sans cesse engagé dans l’acte de la production, pour se rapprocher de celui où, comme dans les temps primitifs, livré à ses forces propres, il n’offre plus qu’un maigre pâturage pour le bétail. Certes, près des villages de l’Ardenne, on trouve des terres aussi bien cultivées et aussi productives que dans les Flandres, mais ce n’est pas d’après celles-là qu’il faut juger des assolemens suivis dans la plupart des fermes. Voici à peu près comment l’usage ordinaire règle la suite des récoltes qu’on demande au même champ : d’abord du seigle sur fumure, puis de l’avoine, la troisième année